La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

dimanche 6 juillet 2014

Blackn' White Picasso

Mains noire-blanche. Man Ray 1935

Cette photographie de Man Ray, deux mains peintes par Picasso en noir et en blanc, est une introduction savoureuse pour une histoire qui concerne le célèbre peintre et sa famille.
L' humour et l'extraordinaire vitalité de Pablo Picasso participent de la fascination que cet artiste hors du commun exerce sur les admirateurs de sa vie et de son œuvre. Son goût pour le déguisement, son humeur facétieuse ont donné lieu à de nombreux portraits, coiffé de plumes d'indien, la fleur à l'oreille, ou encore assis à la table du déjeuner, ses mains posées sur la nappe, remplacées par des pains, drôlatiques gants de baseball à la sauce Dada, dodus et appétissants.






Avec l' image suivante, nous pourrions croire à une nouvelle fantaisie de Pablo, le visage enduit de cirage, ou encore opter pour l'intervention canular d'un champion de Photoshop. Il semble que la réalité soit tout autre.
Ce portrait à la ressemblance troublante, encore accentuée par la célèbre marinière fétiche, est celui de Juan Antonio Pascual Picasso Perez, octogénaire cubain et peintre...  en bâtiment de son état, aujourd'hui à la retraite. Surnommé avec humour par ses proches « El Negativo »,  il serait le cousin très contrasté de Pablo Picasso, un descendant noir de la famille, lignée fondée par le grand-père du peintre célèbre, à La Havane.




Le grand-père maternel de Pablo, Francisco Picasso Gardegno, quitte Malaga pour Cuba, colonie espagnole, en 1868 en laissant une famille de 6 enfants (dont Marie, la mère de Pablo Picasso), officiellement pour faire fortune et nourrir sa famille. A Cuba, ce gentleman fantasque, tel qu'il est décrit, rencontre une esclave noire affranchie, Cristina Serra. De cette union naîtront 4 enfants, Juan Francisco, Fermin, Vicenta et Caridad. Le grand-père, non seulement brave les interdits de l'époque en fondant une famille avec une femme noire, mais il donne aussi son nom à sa progéniture. Il ne reviendra jamais en Espagne, et meurt d'anémie pernicieuse en 1888.
Les enfants du papy aventurier eurent des enfants à leur tour, Juan Francisco, l'aîné en aura 9, et notre Picasso cubain est l'un d'entre-eux. Sur 41 descendants du grand-père aventurier, tous issus de l'union de Juan Antonio avec son épouse, une trentaine sont vivants aujourd'hui et pourraient donc revendiquer un lien direct avec Pablo. Est-ce pour cette raison que cette lignée métissée a été longtemps tenue secrète et que les héritiers de la branche abandonnée en Espagne ne souhaitent pas donner suite aux sollicitations des historiens et des journalistes ? Peut-être. Il semblerait que Pablo n'ignorait rien de cette histoire, selon le témoignage de son ami peintre Wilfredo Lam, cubain d'origine, et lui aurait même demandé de garder le silence sur cet épisode de l'épopée familiale.
Mais les secrets finissent souvent par être révélés au grand jour et lancés à la face du monde. En 1998, une photographe et historienne cubaine, Barbara Meijides, enquête sur la famille Picasso de La Havane. Elle informe de ses découvertes le ministère de la culture espagnole et la Fondation Picasso à Malaga. Ses révélations sont suffisamment plausibles pour être rendues publiques, et la réalisatrice cubaine Julia Mirabal signe un documentaire sur les cousins de La Havane, Los Negros Picasso, présenté en 2000 au festival de Malaga, en présence de certains membres de la famille cubaine, qui accrédite encore la thèse de la descendance ignorée du grand-père.
La plupart des Picasso de Cuba ne savaient rien de leur parenté avec le peintre le plus célèbre du monde, ou n'y accordaient pas d'intérêt particulier. Il paraîtrait que l'attention dont ils sont l'objet depuis quelques années ne suscite rien d'autre, pour la majeure partie d'entre eux, qu'une désinvolture amusée.
Des journalistes et des historiens continuent de mener l'enquête (la fondation Chano Pozo, à New-York, aurait révélé que le célèbre percussionniste cubain, né en 1915, émigré et décédé aux Etats-Unis en 1948, membre de l'orchestre de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker, aurait connu Fermin et Caridad, deux des enfants du grand-père de Pablo Picasso et de Cristina Serra) et de nouvelles révélations confirmeront ou infirmeront peut-être la saga cubaine romanesque de la famille Picasso, baignée d'ombre et de mystère. D'autres faits, de nouveaux descendants encore inconnus seront peut-être découverts dans l'avenir.
Certains des arrière petits-enfants du grand-père Francisco poursuivraient une carrière artistique,  comme Juan Antonio, peintre, Gloria Molina, graphiste et Joan.

Les portraits de Juan Antonio sont l'œuvre du photographe marseillais Vincent Lucas, fondateur du village Facteurs d'images, parti à la rencontre des cousins Picasso à la mode de Cuba, en compagnie du journaliste François Missen. 
Les images et l'histoire rapportées de ce voyage ont fait l'objet d'une exposition en 2012 à la galerie LAME à Marseille. Le parti-pris de l'exposition, l'effet miroir, les portraits de Pablo Picasso et ceux de Juan Antonio adoptant les mêmes poses, souligne la ressemblance étonnante entre les deux.








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