La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

mardi 8 octobre 2013

Le Seigneur des anneaux ou le choc des rencontres

Tu es beau, toi, tu sais ?
Le CERN, organisation européenne pour la recherche nucléaire, situé près de Genève, serait resté pour moi totalement inconnu sans sa star incontestée, le grand collisionneur de hadrons. Je suis une fan, ignare, certes. Mais comment vous faire partager ma passion ? Imaginez un peu une machine aux proportions dantesques, un tube long de 27 kilomètres, enfoui à 100 mètres sous terre, d'une circonférence colossale, dont le coeur, l'anneau, est ravissant, caverne somptueuse tapissée d'une chair de métal rouge et rose. Dans ce méga-colon, des protons, propulsés à une allure vertigineuse, proche de la vitesse de la lumière. Pour pimenter l'affaire, des aimants surpuissants destinés à augmenter le pourcentage de rencontres et de chocs entre les protons, les fameuses collisions, d'où le nom de grand collisionneur. Je suis tombée sous le charme du plus performant des accélérateurs de particules, et avec un nom pareil, c'était inévitable !
Les protons sont des particules, ils nous sont assez familiers, avec les neutrons et les électrons, ils constituent le noyau de l'atome. Là où l'affaire se complique un tantinet, c'est que les protons font partie de la famille des hadrons. Pourquoi ? Pour la bonne raison que les hadrons sont des particules composées de quarks et que nos fameux protons le sont aussi. Jusque là tout va bien, mais je découvre que la famille hadron se subdivise en deux catégories, les baryons et les mésons, qui eux-mêmes se divisent encore. Je jugule mon angoisse naissante en simplifiant, les protons, qui sont des hadrons, sont aussi des baryons, parce que très lourds. Ouf ! Je me crois sortie d'affaire, mais une nouvelle information me plonge dans un abîme de perplexité, je vais tenter d'y voir clair. Le monde des particules (les composites et les élémentaires) est tentaculaire, et évoque une saga inter galactique ou une épopée d'heroic fantasy. Ses membres sont regroupés en grandes familles, comme autant de royaumes. Médiation, chocs, alliances, suprématie, perdition dans des trous noirs, corps à corps explosifs, elles
écrivent une légende palpitante dans la 11e dimension. Bref, les particules, ces entités invisibles, constituent la matière et se distinguent en 2 catégories : les fermions, comme les protons, les électrons, les muons, les tauons, les neutrinos, les quarks, qui sont lourds et forment la matière, et les bosons, comme les photons, les gluons, les gravitons, les axions, les excitons, les polaritons, les inflatons qui agissent comme des médiateurs de force entre 2 particules. Tout s'éclaire si je me rappelle que les phénomènes physiques fondamentaux s'expliquent par 4 forces : la force électromagnétique, la force de gravité, la force nucléaire forte (qui permet la cohésion des noyaux atomiques) et la force nucléaire faible (qui rend possible la fission de l'atome). Chacune des forces comprend son boson médiateur : le photon pour la force électromagnétique, le graviton pour la force de gravité, le gluon pour la force nucléaire forte, et le gluon W pour la force nucléaire faible. Tout cela est follement excitant, et si je reviens à mon point de départ, le proton est un baryon hadron de la famille des fermions. Tout est limpide !
Si les physiciens étudient les particules qui constituent la matière et leurs interactions, c'est pour tenter de déchiffrer et comprendre l'Univers, et le mystère de son apparition. Explorer toujours plus loin, découvrir de nouvelles particules (si, si il n'y en a pas encore assez), savoir si l'Univers ne se contente pas seulement de 3 dimensions, approfondir l'existence d'univers parallèles, le Multivers, connaître la matière noire... un vrai délice.
Se contenter d'observer des particules qui foncent à toute allure doit être fortement ennuyeux, et pour qu'il se passe quelque chose d'intéressant, il faut les contraindre à se rencontrer. C'est la mission du grand collisionneur qui provoque des crash tests de particules à répétition : 100 millions de collisions secondes, des particules totalement secouées pour recréer les conditions d'énergie des premières secondes suivant le Big Bang, il y a 13,7 milliards d'années. Toute cette violence, cette débacle d'énergie, ces particules affolées en surchauffe se percutant à la vitesse de la lumière dans un pogo frénétique, avaient de quoi épouvanter les âmes sensibles et nourrir les visions d'apocalypse. Des trous noirs étaient susceptibles de s'ouvrir, d'engloutir le grand collisionneur, les scientifiques, et nous avec. Mais aucun abîme jusqu'ici n'a ouvert sa gueule béante pour bouloter la planète, n'en déplaise aux pisse-froid et autres oiseaux de mauvais augure.
Qu'est-ce qui peut bien justifier de passer son temps à provoquer des crashs de particules, même si le spectacle de leurs fragmentations lumineuses doit nourrir l'imaginaire et le sens poétique des physiciens, dont je pense qu'ils doivent être largement dotés, à force de contempler et de méditer sur l'origine du cosmos ?

Collisions de protons. Image CMS/CERN

Outre le fait de vérifier la théorie des particules - les scientifiques consacrent beaucoup de temps à vérifier, pour confirmer ou infirmer, le doute est une valeur pour approfondir les connaissances - le but suprême de cette exploration collisionneuse, c'est de trouver le fameux boson de Higgs !

Nous y voilà ! La clef pour comprendre l'Univers, la structure fondamentale de la matière, qui lui a valu d'être joliment baptisé la particule de Dieu, rien que cela ! Grâce à lui, la façon dont les particules se déplacent et acquièrent leur masse devient intelligible. S'il n'existait pas, les particules ne se rencontreraient jamais pour s'agglutiner et former la matière. Le seul problème pour repérer l'excitant boson, et prouver son existence jusqu'ici pressentie, c'est qu'il n'apparaît q'une fraction de seconde, lors de collisions à très grande vitesse entre des milliards de particules. Mission accomplie par le grand collisionneur, en avril 2012. L'existence supposée du boson était enfin avérée. Alors, amoureuse ?
Aujourd'hui, 8 octobre 2013, après un suspens haletant, le prix Nobel de physique a été décerné conjointement au belge François Englert, et au britannique Peter Higgs. Pour ces papis de la physique, qui ont prédit l'existence du boson dès les années 60, la reconnaissance pour leurs recherches arrive enfin. Il était temps ! Champagne ! Et vive l'Europe, sans laquelle le CERN et ses extraordinaires découvertes n'existerait pas !

samedi 5 octobre 2013

Sauvetage

Il y a belle lurette que l'objet kitsch, le bibelot de pacotille (oui, je sais les puristes, le kitsch est beaucoup plus vaste que cela) occupent une place privilégiée dans mon cœur et dans mon décor. Objets sentiments par excellence (j'emprunte ici la définition à Le Corbusier), chargés de mes affects, tremplins naïfs de mes nostalgies et de mon imaginaire, toute une panoplie de choses improbables ont depuis toujours trouvé dans ma maison une place de choix. Mise en scène de mon monde intime, petite usine à rêves dévidant comme un tricotin mon héritage familial et la saveur de mon enfance nomade circonscrite sur l'étagère, les objets toc (définis comme tels par leur valeur de pacotille et mon intérêt compulsif) m'attendrissent par leur ferveur à perdurer et le pied de nez qu'ils infligent au bon goût. Hardiment décomplexés, supportant sans discrédit le voisinage d'objets au design contemporain, ils trônent chez moi tout à leur aise, ennoblis, voire sublimés. Ce joyeux mélange des styles un peu foutraque, à haute teneur sentimentale, clin d'oeil ludique et drôle, poétique et exubérant, a toujours représenté pour moi l'atmosphère idéale et sécurisante nécessaire pour recharger mon énergie de vivre. J'ai déjà parlé sur ce blog de ma passion des boules à neige, des poissons qui s'allument comme des veilleuses, révélant la grotte de leur ventre ouvert, entrailles peuplées d'algues de céramique dorée et d'étoiles de mer écarlates.


Ce ne sont pas les seuls fétiches sur lesquels j'ai jeté mon dévolu au fil de mes pérégrinations d'écumeuse de vide-greniers. Les petits coffrets hérissés de coquillages ou recouverts d'un glacis de miroirs, les cartes postales sur lesquelles la jupe de la danseuse de flamenco froufroute et se soulève, les images relief ou qui s'animent lorsqu'on les incline, icônes profanes, pin-up clignant de l'œil, ou images pieuses, apparition de la Vierge à Bernadette, petite télévision visionneuse qui taille aussi les crayons, vahiné qui se trémousse sur son ressort, boîte à musique dont le couvercle libère une mélodie assoupie et une ballerine captive qui se redresse sur la pointe de son chausson et tourne sur son axe, absente et mélancolique...



Et les miroirs festonnés de rotin, les Vierges de Lourdes qui changent de couleur selon le temps, baromètres sanctifiés et prélèvements respecteux d'eau bénite tout en même temps, tomates salière et poivrière en porcelaine, plaid patchwork au crochet, gondole vénitienne et tour Eiffel lumineuses, coquillages figés dans la résine translucide, cerfs à l'imposante ramure, sombres sapins et bouquets d'anémones brodés sur des canevas, napperons en dentelle de plastique. Je pourrais égrener ma liste top nostalgie encore longtemps. J'ai toujours préféré les cavernes d'Ali Baba des Emmaüs pour éclairer et meubler mes intérieurs, trouvailles revisitées et enchantées à ma façon.

Dans un film de Robert Guédiguian (La ville est tranquille ?), Ariane Ascaride contemple la chambre à coucher démodée, restée intacte après le décès de la mère âgée de l'homme qui l'a invitée à venir chez lui, joué par Gérard Meylan. Je ne sais plus si c'est elle, ou bien lui, qui affirme que les meubles sont la vie des arbres et la vie des gens. A l'extérieur, l'usure et la patine du vieux mobilier raconte l'usage au fil des jours, le passage répété de la main qui lustre comme une caresse, les coups du sort, le tiroir qui résiste, les petites écorchures laissées par les ongles autour des poignées, les griffes du chat incorrigible, le papier à fleurs punaisé sur les étagères. A l'intérieur, c'est le bois brut, avec ses veines, ses barbes pelucheuses, envers du décor indigne du moindre coup de rabot, et tous les traits de crayon et les chiffres de mesure du charpentier. Pour tous ces détails, le rafistolage, la petite cale bricolée qui coince la porte rebelle, le trou reprisé dans l'étagère avec un morceau de boîte de conserve découpé et cloué, j'aime les meubles qui ont servi.
Par devoir de reconnaissance envers tant de loyauté et d'humilité, je me suis souvent consacrée à leur offrir une seconde chance. Sauver les meubles, c'est un peu sauver le monde. Réparer les choses, c'est en même temps prendre soin de soi. Combien de fois n'ai-je pas vérifié l'apaisement de tourmentes intérieures en même temps que j'étais engagée dans l'opération de sauvetage d'un petit chevet gracile comme un faon ou d'un plantureux buffet débonnaire ? Le doute, le sentiment d'inutilité, le manque de respect de soi qui ne manquent pas de tenailler épisodiquement l'ego le plus solide, finissent par céder, emportés par l'effort physique, la jubilation de puiser dans sa créativité et son savoir-faire pour un résultat concret et gratifiant. Sauver un meuble devient une catharsis, j'oserais dire une pratique spirituelle.


Je ne résiste pas à la tentation de publier les portraits de quelques rescapés, Boudu sauvés qui coulent des jours heureux dans une vie nouvelle, rajeunis, restaurés par mes soins, conjugués à ceux de mon amie Cricri.
Nous œuvrâmes longtemps de concert, à quatre mains, penchées et recueillies sur les corps couchés de nos pensionnaires convalescents.
J'écrivais ce billet quand les nouvelles du drame de Lampedusa ont assombri les JT. Les vicissitudes des vieux meubles sont dérisoires face à la tragédie humaine. Je suis effarée par ces milliers de personnes qui ont tenté de rejoindre l'Europe dans l'espoir d'y trouver une existence meilleure et ont perdu la vie dans des circonstances scandaleuses.
25 000 personnes sont mortes depuis 20 ans en essayant de rallier les côtes italiennes, au bout de véritables calvaires, entassées sur des rafiots sans eau ni vivres. A l'heure du dîner, la Méditerranée charrie les cadavres jusque dans mon assiette, les pauvres dépouilles d'êtres humains si démunis et malheureux, qu'ils ont pris le risque de sacrifier leur vie et celle de leurs enfants pour échapper à une existence indigne. J'ai mal au cœur, à l'âme, j'ai mal partout, et je reste devant ma télé, stupide, honteuse, anéantie par mon impuissance.

La civilisation européenne est moribonde, et se barricade, pour tenter de protéger sa suprématie illusoire qui n'éclaire plus que sa peur, son absence de compassion, son mépris de la dignité humaine et des possibilités infinies de la vie. En manquant à son devoir de solidarité, elle se prive des moyens offerts par l'immigration de régénérer sa culture et son économie.
Ce billet guilleret, commencé tout léger, plonge dans le chagrin. Ma passion du sauvetage a tout à coup un goût amer. Je ne peux faire que cela, accompagner par la pensée ces êtres sacrifiés, ces vies perdues que personne ne put sauver des eaux, comme une prière.