La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

dimanche 4 novembre 2012

Intense coup d'oeil ( avec cils )


Le mascara est devenu un accessoire essentiel à la féminité, grâce aux recherches des laboratoires de cosmétique les plus performants. Si je crois la publicité, seul le mascara donne de l'expression au regard. Sans lui, mes yeux ne trahissent qu'un vide insondable. Pour avoir l'air intelligent, l'air intelligent que seule une star peut poser sur le commun des mortels, je dois habiller mes cils, qui signalent mon imbécilité quand ils sont tout nus. Cette pâte colorée que la femme soucieuse de son apparence prélève tous les matins dans un tube, à l'aide d'une petite brosse profilée spécialement étudiée pour épouser la courbe des cils et éviter le dépôt de paquets grumeleux inélégants qui entravent le mouvement naturel des paupières qui se doivent de battre expressivement, le mascara disais-je, et je reprends mon souffle, a atteint le summum de la technicité.
Vitaminé, activant la pousse des cils et stimulant la micro-circulation, chargé de fibres de soie et de cires gainantes pour lustrer cette frange délicate qui ourle mes paupières, il existe en version waterproof pour résister aux larmes ( les scientifiques, renseignés par de multiples études, anticipent le moindre chagrin de la gent féminine, détectée sensible et émotive ), aux ondées ( chacun sait que les femmes, fantasques ou inconscientes, adorent se promener sous la pluie battante, leurs visages offerts dégoulinant, refusant obstinément de s'abriter sous un parapluie, en admettant qu'elles connaissent l'usage de cet objet pourtant banal ), aux plongeons ( décidément, les femmes ont une nette propension à mettre la tête sous l'eau les yeux maquillés ). Un mascara digne de ce nom allonge, recourbe, assouplit, booste, densifie sans s'effriter, fortifie, démêle, texturise, étire, pigmente, enrobe, veloute, lisse, désolidarise. Chaque cil est peigné, éduqué pour devenir autonome dans un ensemble harmonieux duquel il ne saurait se séparer. Il a la conscience de son unicité, élastique, étoffé, érectile, voluptueusement curly, mais n'en garde pas moins la fierté d'appartenir au groupe. Le cil dompté donne une magnifique leçon de démocratie participative dont toute rébellion est exclue.


C'est donc avec mes cils disciplinés, mais néanmoins dotés d'un charisme intelligent redoutable, moulés dans un mascara technologie 3D lift up double extension longueur pulpeuse, que j'ai décidé d'écrire un petit billet très doux sur Patrick Jacobs, artiste new-yorkais qui crée d'exquises miniatures en bricolant comme un maquettiste maniaque du dimanche : avec du polystyrène, du bois, de la cendre, de la fécule de pomme de terre, du talc, du papier, de la colle et des ciseaux. Ces petits mondes minutieusement élaborés sont nichés dans des boîtes, dont l'intérieur se révèle à travers un oeilleton muni d'une lentille grossissante, dont le plus petit ne fait que 3 cm de diamètre. Ici, l'intérêt d'une rangée de cils souples est évidente... une frange rigide hérissée autour de la paupière empêcherait tout rapprochement entre l'oeil et le petit hublot. Mon regard donc, aidé par mes cils coopératifs, découvre des scènes bucoliques dont les seuls sujets sans histoire sont d'innocents bouquets de champignons blottis dans la mousse ou de diaphanes pissenlits plantés dans l'herbe verdoyante, des paysages à l'horizon désert ou des intérieurs de maisons de poupées, vides de ses occupants. Au-delà de la prouesse technique, chef d'oeuvre de minutie, il semblerait que l'artiste facétieux ne donne rien à voir. Il m'entraîne pourtant dans une tranquille contemplation, une mystérieuse rêverie absorbée dans la minutie du détail d'un univers modeste qui s'impose dans toute la force poétique de l'infiniment petit. Attentive, impliquée, je (re)découvre la grâce miraculeuse du champignon minuscule doté du pouvoir de me rendre confiance et sérénité. Vivante et intelligente jusqu'au bout de mes cils ! Rangés en bataillons serrés, admirablement vibratiles, ils en frémissent de plaisir, leur pulpe superbe gorgée d'allégresse.