La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

vendredi 17 août 2012

Demain est un autre jour

Je découvre les projets du designer Mathieu Lehanneur qui me touchent particulièrement, et comme chaque fois que je suis émue, je deviens volubile. Et puis, je rattrape un peu le temps perdu. Non que mon enthousiasme se soit éteint, mais mon énergie était canalisée depuis quelque temps sur d'autres projets, fort louables, et professionnels ceux-là.
Mathieu Lehanneur a le souci de l'autre et crée des objets utiles et généreux, prenant soin de l'être humain, de ses désirs, ses émotions et ses croyances. Un design compatissant, pour apprendre à mieux vivre, mieux s'occuper de soi, apprendre à s'aimer, se soigner.


De si jolis médocs...

Les objets thérapeutiques, ludiques, poétiques et mystérieux réinventent le lien entre le malade et ses médicaments. Ils agissent comme des provocateurs à suivre le traitement, combattent le découragement, stimulent la combativité. Mathieu Lehanneur est le bon et beau docteur qui nous fait avaler la pilule sans effort, le Clooney du design qui sauve. Grâce à lui, les médicaments deviennent des alliés, communiquent avec le patient, le sollicitent, le soutiennent, et optimisent la guérison. Les bâtons de somnifères infusent lentement dans l'eau et invitent à la rêverie avant d'aller se coucher. Les potions vibrent et pétillent, en pleine effervescence, les cachets comme des perles s'égrènent en chapelets, les antibiotiques s'effeuillent jusqu'à leur coeur, coloré et joyeux, un coeur symbole d'espoir et de guérison, les doses se gonflent pour signaler la prochaine prise... le médicament devient un bel objet, ergonomique, épuré, efficace, intelligent, qui anticipe, informe, minimise les manquements du patient au protocole de soin et l'aide à rester sur le bon chemin.



Demain est un autre jour est une commande de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital des Diaconesses Croix Saint Simon à Paris. Dans ce lieu d'accompagnement de la fin de vie, quand il n'existe plus de traitement, il reste l'humanité, le besoin d'élévation spirituelle, l'appel à la sérénité, la profondeur, tant pour les patients et leurs proches que pour les soignants. Dans chaque chambre, fixé sur le mur, Mathieu Lehanneur propose une icône symbolique, un hublot rebondi, comme une larme de rosée qui réfléchit le ciel... du lendemain, n'importe où dans le monde. Le malade est transporté ailleurs, sous le ciel qu'il choisit, les murs de la chambre s'évanouissent, et la mort s'éloigne pour aujourd'hui.
Quand les jours sont comptés, quand la perspective du lendemain s'amenuise, se charge d'angoisse, gagner une journée de plus est un cadeau. L'océan est tout entier contenu dans une seule goutte d'eau. Dans une bulle de ciel, toute la beauté de l'Univers est concentrée, invitation à la méditation, à nous relier au grand tout. Sur la surface d'un grain de riz, un peintre japonais dessinait le monde, avec ses montagnes, ses mers, ses rivières et ses plaines. Dans les jardins zen, un simple caillou raconte toutes les montagnes. Le hublot sur le mur de la chambre offre une vision cosmique de l'éternité.

Voir un monde dans un grain de sable,
Et un ciel dans une fleur sauvage,
Tenir l'infini dans la paume de la main,
Et l'éternité dans une heure...
W. Blake. Songs of Innocence.

Demain est un autre jour est un projet né grâce au programme des Nouveaux Commanditaires, créé en 1991 au sein de la Fondation de France. Bouchers, fleuristes, restaurateurs, ingénieurs, associations, enseignants, étudiants, municipalités, clubs sportifs, collectionneurs, équipes médicales... assistés de médiateurs, dans toute l'Europe, ces mécènes d'un nouveau genre commanditent des projets artistiques pour le bonheur de tous, retricotent le lien entre citoyens et créateurs, offrent à l'art contemporain une nouvelle raison d'être. Plus de 250 projets ont ainsi vu le jour, et cela n'est pas prêt de s'arrêter. Bonne nouvelle, non ?

dimanche 12 août 2012

Le Long Maintenant ( ou comment prendre tout son temps )

Une idée lumineuse a germé en 1994 dans l'esprit visionnaire de Stewart Brand, écrivain et futurologue américain, qui nourrit depuis la période hippie une réflexion originale et... optimiste. Créateur de l'expression personal computer,  il est l'auteur du Whole Earth Catalog dans les années 60, ancêtre du Catalogue des Ressources européen, qui répertorie et permet la vente par correspondance des meilleurs produits accessibles sur le marché, des outils essentiels et performants pour s'éduquer et mener une existence auto-suffisante et alternative. Défenseur ardent du partage des connaissances et de l'éducation populaire, partisan de rendre à l'être humain sa capacité créatrice, son pouvoir d'expérimentation et son autonomie, le WEC devint la bible des adeptes de la contreculture américaine.
En 1994, donc, il crée The Long Now Foundation et lance le projet d'une horloge éternelle, conçue pour fonctionner 10.000 ans et au-delà, un outil encore, pour amener l'être humain à ralentir, se donner le temps de la réflexion, mesurer sa responsabilité et concevoir l'avenir autrement ( dans ses dimensions économiques, sociales et surtout écologiques ). L'instant comme éternité, l'implication aujourd'hui pour définir demain, lentement et sûrement. Un monument, une oeuvre d'art érigée à la gloire de la responsabilité dans le présent. Un éloge du ralenti, une vigie qui en appelle à notre conscience de gardien de notre planète Terre et nous incite à transcender les limites de la vie humaine pour penser plus loin que le bout de notre nez, redonner du sens et du pouvoir à notre quotidien. Un réveil matin big size de nos consciences anesthésiées, de notre sentiment d'impuissance endémique utilisé trop souvent comme un alibi.
Toute une bande d'allumés, pour la plupart des chercheurs de la Silicon Valley, s'associe au projet de Stewart Brand. L'une de mes idoles, Brian Eno, génial expérimentateur des univers sonores depuis Roxy Music ( la petite musique du système d'exploitation Windows, c'est lui ! ) met au point les carillons de la mega toccante. Il est l'auteur de la formule Long Now ( qui s'étire encore davantage lorsqu'elle est traduite en français, le Long Maintenant ), si poétique, généreuse et rassurante, parce que tout ce qui responsabilise l'être humain est porteur d'espérance, de liberté et d'enthousiasme. Le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, offre un bout de terrain dans le désert du Texas pour installer la machine, dont le prototype est visible au Science Museum de Londres.


Une horloge géante de 12 m de haut, mais qui ressemble à ces pendulettes anciennes posées sur les cheminées, leur cadran soutenu par des colonnettes graciles, petits temples dédiés au dieu du Tempus fugit. Point de cadran sur notre prototype, mais un gros oeil rond de cyclope ouvert sur l'éternité ( une montre se dit watch en anglais ), focale abyssale qui sonde les profondeurs du temps.

Trônant en haut d'un escalier de 160 m suspendu au-dessus du sol, telle la Victoire de Samothrace, elle accueillera dans une petite dizaine d'années les visites de ses admirateurs dans toute sa majesté. Patience ! Mais 10 ans, qu'est-ce donc ! Une broutille face à l'éternité. Nonchalante, elle avancera d'un cran par an, sonnera une fois par siècle et le coucou ( oui, oui, tout est prévu, même le coucou ! ) sortira une fois par millénaire. Voilà de quoi lever le pied de l'accélérateur, et se projeter dans la durée, pour changer notre façon de penser et de vivre aujourd'hui, pour demain.
Notre guetteuse, au service de la survie de la planète, fonctionnera comme un corps vivant, calée sur l'alternance jour/nuit. Synchronisée sur le temps solaire, elle pourra cependant se passer des rayons lumineux pendant 100 ans ( qui sait ce qu'il peut arriver ! Tremblement de terre, éruption volcanique, chute intempestive de météorite, autant d'évènements sources de ténèbres ) sans se laisser perturber, et s'alignera à nouveau sur le temps exact du soleil comme si rien ne s'était passé. Pour réaliser un tel prodige, elle doit être capable de tenir compte des modifications de la rotation de la terre, des phases de la lune, de l'orbite des planètes. Chaque jour, son carillon sera différent, mais il faudra une intervention humaine pour l'actionner, comme l'affichage du temps. Elle donnera l'heure, mais si on le lui demande, et même si elle sera conçue pour résister seule 10.000 ans sans s'arrêter ni se dérégler ( quelle fabuleuse prouesse technique ! ), elle ne répondra que dans certaines conditions, à notre délicate attention, notre prévenance envers elle, ce qui est encore un moyen d'engager notre responsabilité dans l'aventure.
Une autre horloge, astronomique celle-là, est déjà prévue dans le désert du Nevada. Calée sur les mouvements des planètes, elle enregistrera par exemple la progression des équinoxes qui connaissent des cycles de 23.000 ans. Depuis le livre de l'astrophysicien Hubert Reeves, nous le savions, la patience est de mise dans l'azur.

Mathusalem, portrait du patriarche
Jeunot de 3000 ans !

L'équipe du Long Now a aussi envisagé de planter tout autour du site de l'horloge, des pins californiens, les pins Bristlecone ( pinus longaeva ) dont l'espérance de vie atteint les 5 000 ans. Le plus ancien, Mathusalem, est aujourd'hui âgé de 4844 ans. Le record de longévité est détenu par un épicéa suédois, Old Tjikko ( 9550 ans ! ) Voilà de quoi susciter notre humilité, et notre admiration face au grand Univers et mère Nature. Respect !
Old Tjikko
Parmi les souvenirs d'enfance, il y a les moments doux de l'ennui, de la rêverie cotonneuse, le livre ouvert sur les genoux, le nez à hauteur des brins d'herbe, à disposer sur le chemin des processions de fourmis miettes et pétales de corn flakes, à ramasser avec précaution les bogues hérissées des marrons entrouvertes laissant deviner la peau du fruit brune et vernissée, les bourgeons velus des coquelicots que je fendais le long de la pliure médiane pour défroisser la corolle vermillon de la fleur chiffonnée... L'enfance, c'était le temps qui flâne, le temps qui s'étire le long des dimanches désoeuvrés et paisibles, le temps délicieusement perdu à ne rien faire, juste à ressentir, éprouver, attendre le lendemain de retrouver les copines à l'école, une éternité.