La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

lundi 20 février 2012

Dans mes bras !

Je viens de  " rencontrer " tout un tas d'amies. Depuis 1973, en Inde, le mouvement Chipko enlace les arbres. Au tout début, un groupe de villageoises résistent de façon non-violente à la déforestation de leur région en prenant les arbres dans leurs bras pour s'opposer à l'abattage. Leur action porte ses fruits et entraîne peu à peu l'adoption de moratoires pour protéger les arbres, et s'étend à toute l'Inde, et au monde entier.
La communauté Bishnoï au Rajasthan apparaît comme précurseur. Défendant leurs arbres au prix de leurs vies, et s'opposant en 1720, aux soldats du Maharadjah du Jodhpur, les Bishnoïs et surtout les Bischnoïes obtiennent finalement un décret définitif qui sauve les arbres. Dotés d'une spiritualité élevée, strictement végétariens, ils suivent rigoureusement une série de préceptes visant à protéger toute forme de vie, seule attitude dont la dignité et la noblesse distinguent un véritable être humain.

Moi, la forme de Dieu, je suis présente en toute chose, laide ou superbe, visible ou invisible, et j'erre en ce monde, de la plus petite des particules à l'intégralité de l'Univers. Je suis présente dans le coeur de chaque créature et même dans les choses impossibles.


Ce n'est pas la première fois que je raconte des histoires d'arbres sur le famous blog. Je constate avec consternation qu'ils sont ici, là où je vis, tous les jours davantage sacrifiés, et disparaissent du paysage. Les maladies et les parasites de plus en plus agressifs ne sont pas les seules causes de leur disparition. La promotion immobilière galopante gagne du terrain, défriche les pentes des colline, et offre cyniquement le sinistre spectacle de lotissements nus, chichement ponctués d'arbrisseaux neurasthéniques incapables de dispenser la moindre petite ombre apaisante, hérissés de lampadaires faméliques plantés comme des clous méchants.
Les piscines prétentieuses ont raison des pins parasols que l'on coupe, stigmatisés à cause de leurs aiguilles incontrôlables qui souillent l'eau immobile, les platanes ont le mauvais goût de perdre leurs grandes feuilles généreuses à l'automne, qui jonchent le sol et engorgent les caniveaux, leurs racines puissantes soulèvent le bitume des chaussées. Et pour aggraver leur cas, leurs jolis fruits, boules serrées de graines velues, sont responsables d'éternuements chez les personnes sensibles. Leur ombre n'est plus une bénédiction, la climatisation apporte toute la fraîcheur nécessaire, et les parasols n'ont pas besoin d'être taillés.
Partout, les parkings s'étalent comme une maladie de la peau, dessinent de grandes plaques glabres, où les voitures garées carbonisent comme des steaks sur des plaques chauffantes. Inutiles, les arbres deviennent encombrants, salissants, menaçants. La mode est aux hybrides, des créations mesquines issues de manipulations complexes, maîtrisées, disciplinées, qui ne perdent jamais leurs feuilles clairsemées, pas assez denses pour abriter les oiseaux, leurs branches anorexiques ne chantent plus avec le vent, qui les ignore et passe sans s'arrêter, et leurs troncs calibrés, soutenus par des haubans pour résister au mistral, ont la mine anémiée de créatures improbables, incapables de tenir debout.




Mais je refuse de rester enlisée dans de sombres récriminations. Alors voilà un joli projet, si touchant, assorti à mon état d'âme, certes, mais chargé de la tendresse et de la poésie nécessaires pour m'élever au-dessus du marasme.
Steven Burke dessine sur les troncs d'arbres coupés, allongés sur le  sol, exactement sur la surface de coupe ronde qui dévoile le coeur de l'arbre, blessure vive odorante, un petit visage triste et pâle aux yeux clos. Je fonds.








  













Au moment d'éditer mon petit billet, je découvre que toute une bande de designers, installés à Tokyo, touchés peut-être par l'apparence ingrate des clous de menuiserie, ont décidé de leur venir en aide et de les relooker pour les rendre plus avenants. Les clous fleurs dessinés par Trico International s'exhibent sans complexe, charmants et drôles. Même tordus, courbant la tête, impossible de les arracher ! Et si je fonds encore une fois, je risque fort de me retrouver comme une flaque sur le carrelage, au milieu de laquelle surnagent mes vêtements détrempés.

lundi 13 février 2012

Plouf plouf !

Lorsque j'étais môme, plouffer faisait partie de mes activités favorites, parce que ce rituel enfantin,  résolvait la plupart du temps le problème épineux du choix, de manière ludique et incontestable. Faire la plouffe, c'était scander une comptine, réciter une sorte de mantra en marquant nettement les syllabes sur chaque joueur. La fin de la plouffe tombait comme un couperet, et désignait le dernier participant, celui qui était " dedans ", le malheureux qui s'y collait, et le jeu pouvait commencer.
Les joueurs se réunissaient en rond, et le plouffeur, ou la plouffeuse, tapaient 2 ploufs de la main au centre du cercle pour donner le départ. La comptine se déclamait sur un ton chantant et péremptoire, le plouffeur pénétré de son importance ( seuls les leaders pouvaient plouffer et affirmaient leur pouvoir sur la troupe avec une introduction qui ne laissait planer aucun doute sur leur position dominante : c'est moi qui plouffe ! ).
Plouf plouf !
U-neu-gre-nou-yeu
Au-bord-d'un-rui-sseau
Bai-sseu-sa-cu-lo-tteu
Fait pi-pi-dans-l'eau
1-2-3-va-t-en !

En principe, personne ne pouvait discuter le résultat d'une plouffe menée par un leader, l'injonction finale était on ne peut plus claire,  mais si la contestation, très rare, s'élevait malgré tout, une seconde plouffe venait à bout de la rébellion. Le plouffeur en chef s'arrangeait, mine de rien, pour commencer le nouveau décompte sur la même personne que la première fois, entraînant automatiquement la désignation de la même victime, obligée de se résigner, face à l'acharnement du sort et l'autorité du plouffeur. Un stratagème grosse ficelle, de la triche abracadabra j't'embrouille, pour mettre " dedans " le souffre-douleur de la bande, qui n'était pas dupe, le pauvre, mais qui se conformait à son rôle d'éternel persécuté.

Plouf plouf !
Qui-a-pêté
Ca-sent-la-chi-co-rée ?
Bou-leu-deu-cheu-wing-gum
C'est-toi-qui-t'y-coll' !

Traité de péteur, fleurant bon la noisette, certes, mais le parfum agréable n'était pas une circonstance atténuante, et de suiveur visqueux à la ténacité importune, le malheureux était condamné  dans l'approbation générale. Il avait perdu, et se retrouvait tout seul, la bande ayant pris la poudre d'escampette pour se cacher, narquoise, se délectant de son désarroi.
Un dauphin, ou une dauphine, ne pouvait se retrouver en position de victime, situation qui aurait perturbé dangereusement l'équilibre du groupe. Une astuce permettait de contrer souverainement le coup du sort et d'annuler le résultat. La plouffe repartait, la décision du leader ayant force de loi.

Mais-la-rei-neu
Ne-le-veut-pas
Alors-ce-se-ra-toi
Qui-se-ras-le-chat !

Tant que la personne désignée n'était pas la victime agréée par sa Majesté et sa cour, la plouffe se perpétuait jusqu'à donner entière satisfaction.

Mais-le-roi-non-plus
Ne-le-veut-pas
Alors-ce-sera-toi-qui-iras ! 
( Bis et rebis )

Ma plouffe préférée, délicieusement absurde, était si mystérieuse que ses pouvoirs incantatoires semblaient décuplés. Le récitant de ce mantra semblait auréolé d'une puissance cosmique. Commençant par plouf, se terminant par plouf, la comptine se refermait sur elle-même, comme un cercle parfait. Et qui pouvait bien être le personnage invoqué ? Une héroïne ? Une princesse indienne ? Une experte de l'aérosol ?
Plouf plouf!
Une étiquette Marie Bombay
Tiplouf !

Et que pouvait bien faire une étiquette dans l'histoire ? Elle rejoignait au panthéon des incongruités enfantines, une vache qui pissait dans un tonneau et c'était forcément rigolo, un petit singe qui lavait son linge dans un encrier, et qui cherchait un buvard pour le sécher, 1, 2 un lapin sans queue, qui courait 3, 4 après un lapin sans pattes, et la Reine d'Angleterre, qui faisait pipi par-terre, alors que son fils Léon, toujours en caleçon, se caressait l'bidon...  Les exigences de la rime déterminaient des associations loufoques, qui faisaient pouffer de rire, la main devant la bouche, en se tortillant, surtout les filles, mais les garçons aussi.
J'imagine inventer des plouffes pour venir à bout de choix cornéliens, une love plouffe, pour décider entre deux amoureux, une shopping plouffe, pour choisir une paire d'escarpins, une holidays plouffe ( la mer ou la montagne cet été ), ou encore une plouffe électorale :

Plouf plouf !
Le peu-pleu-s'en-ga-geu
Le-temps-est-à-l'ora-geu
1-2-3-dé-ga-geu !








La neige est tombée il y a deux jours, tempête silencieuse de gros flocons, et ce matin le jardin est un décor de film muet en gris et blanc. Je joue dans le film évidemment, j'avance sous la neige, les yeux charbonneux, le regard extatique, et les mains jointes pour exprimer mon ravissement, protégées par de magnifiques moufles tricotées, dont le motif jacquard est à l'écran du plus bel effet.

mardi 7 février 2012

Coupez !

Le laboratoire LTC, spécialisé dans le développement des films argentiques s'est éteint, tué par le numérique, mais surtout sacrifié à des intérêts économiques voraces aux méthodes brutales. Il serait ridicule et suicidaire de refuser les mutations, de s'accrocher à un monde voué à disparaître. Là dessus, tout le monde s'accorde. Mais si le profit n'était pas devenu la seule valeur, il pourrait exister des solutions intelligentes, qui accompagneraient la volonté d'anticiper le changement et la nécessité d'évoluer. Valoriser le talent et l'expérience, respecter la personne humaine, assumer ses responsabilités, permettraient sans doute d'autres choix que le sacrifice des 115 salariés, dont le savoir-faire et le dévouement, depuis 30 ans pour certains d'entre eux, avaient construit l'expertise et la réputation de LTC. Une fin indigne, comme toutes celles auxquelles la crise voudrait que nous nous résignions. Il demeure une aventure humaine qui domine la tragédie, et le combat mené par les membres de l'équipe de LTC leur confère une noblesse et une force qui, je le souhaite, les soutiendront toujours, comme un trésor imprenable.
LTC se rattache à une partie de ma vie, et même si je ne suis pas si vieille, tout à coup je me sens une antiquité, pathétique et si mélancolique. Je me souviens des soirs, après la journée de tournage... l'équipe avait rendez-vous à Saint-Cloud, pour visionner les rushes. J'étais inquiète et impatiente à la fois, consciente de participer à un moment magique, intime, une communion particulière faite de tension et de concentration. Les yeux rivés sur l'écran, chacun scrutait l'image, attentif, recueilli, hanté par le poids de sa responsabilité. J'étais une humble assistante du chef décorateur, mais en même temps pleinement engagée, donnant le meilleur de moi-même. La lumière dans la petite salle de projection se rallumait et révélait parfois ma déception sur la qualité de mon travail, mais aussi la satisfaction, l'enthousiasme, toute une palette d'émotions intenses. Après la projection, nous allions boire un verre, toujours, pour couronner cette journée, soulager cette tension délicieuse, sceller le pacte indicible et mystérieux qui unit la tribu d'un film le temps d'un tournage.
LTC, 14 boulevard Sénard... Je me souviens des bâtiments, une partie plus ancienne en briques émergeait au-dessus d'appendices de béton et de tôle, rajoutés sans vergogne au gré des nécessités, et les 3 grandes lettres rouges un peu écaillées. L'ensemble était plutôt ingrat, avec un charme fou. Je me souviens de l'odeur caractéristique des bains de révélateur, cette odeur acide qui me rappelait immédiatement mon père parce qu'elle imprégnait la laine de ses pull-over. Ainsi j'étais un peu chez moi, chez LTC, dans un monde étrangement familier mais qui m'impressionnait cependant. L'excellence, l'amour du métier ont toujours suscité mon admiration. Je me souviens du bruit des machines qui vibraient, le coeur de la vénérable maison palpitait, les bobines possédées tournaient à toute allure, montées à la verticale sur leur axe, le ruban du film tendu avançait, et revenait en boucle pour s'enrouler de nouveau. J'imaginais toujours avec un frisson horrifié le scénario catastrophe d'une bobine folle, s'échappant comme une toupie à travers la pièce, la fuite éperdue des techniciens sous la table pour éviter le projectile assassin, le film se déroulant en sifflant comme un crotale menaçant et se déchirant dans un hurlement sinistre. La bobine terminait sa course au pied d'une chaise et s'immobilisait enfin, les boucles du film piteusement emmêlées. Mais heureusement, les maîtres des machines veillaient, les grands docteurs de la surface sensible, en blouse blanche, opéraient, mesurant l'équilibre fragile des couleurs, et les mains sûres gantées de blanc des monteuses expertes voletaient comme des colombes.

Je me souviens des étagères portant le poids des bobines dans leurs boîtes rondes métalliques, les affiches de films sur les murs, comme autant de fleurons, le vieux linoléum et le carrelage usé. Une ruche, où s'affairaient nuit et jour développeurs, tireurs, étalonneurs, chimistes, monteurs, vérificateurs, magasiniers, livreurs, et j'en oublie sans doute. Un temple sacré, entièrement dédié à la passion des images, où des artistes magiciens se dévouaient corps et âmes à sublimer une teinte, une ombre, une transparence, à exalter un reflet, enchanter une atmosphère, soufflant délicatement le chaud et le froid pour obtenir une matière sensuelle éblouissante.
Leur talent m'a permis de retrouver maintes fois sur l'écran ce ravissement que j'éprouvais sur le plateau, à voir la lumière naître, se préciser, se densifier. Parfois, je ressentais la folle envie d'être sous les projecteurs, enveloppée, caressée, et je comprenais le plaisir d'une comédienne offrant son visage à une lumière amoureuse.
J'ai appris que les quelques 20.000 bobines archivées chez LTC, patrimoine du film français et européen, seraient sauvées. Un peu de baume au coeur, qui reste gros.
Que va-t-il advenir chez Eclair, l'autre grand laboratoire du film à Epinay sur Seine, alors qu'un plan social de licenciement a déjà commencé ? Sont-ils promis à la même fin douloureuse que ceux de LTC, la reconversion des salariés et leur formation négligées à l'heure d'une mutation irréversible et depuis un certain temps déjà totalement prévisible ?
Non, je ne suis pas si vieille si je considère mon âge biologique, et pourtant, j'ai vécu la mort des studios de Billancourt, quai du Point du Jour, le nom seul me faisait rêver, la fin d'une époque avec la démolition de la SFP, aux Buttes Chaumont, dans le XIXe arrondissement de Paris. Je participais alors au tout dernier tournage sur le site, d'une série pour la télévision, tous les plateaux étaient murés, sauf celui sur lequel je travaillais, dernier bastion encore éclairé avant le naufrage. Je garde un souvenir poignant des couloirs déserts envahis de papiers répandus, des boîtes de films jetées en vrac dans la cour, leurs contenus défaits, échevelés sur le ciment dur et froid, le silence lugubre qui enveloppait la grande bâtisse condamnée et le matériel abandonné, le grand hall dévasté plongé dans l'obscurité. Avant de partir, je me suis promenée une dernière fois, pour dire adieu dignement. Je suis passée saluer les costumières, dernières gardiennes qui veillaient sur quelques 8000 mètres carrés de trésors, les milliers de costumes et d'accessoires, fabriqués et entretenus avec amour et fierté depuis 25 ou 30 ans, dont le devenir incertain les rongeaient de chagrin et de désespoir. Je restais là, impuissante, honorée cependant qu'elles me permettent de partager leurs larmes et leur émotion.

samedi 4 février 2012

A double tour

Un amoncellement de cartons et de valises, sur le trottoir, à l'angle du mur, attend le passage des éboueurs. Au sommet de la pile, jetées dans un panier éventré, des clés emmêlées, portant des étiquettes attachées avec des petites ficelles. Sur ces morceaux de carton, dont les 4 coins sont coupés, ou arrondis, ce sont des étiquettes soigneusement bricolées, une écriture désuète, à l'encre violette,  élégante avec ses pleins et ses déliés, identifie chaque clé. Et quand le doute domine, il y a tant de clés, pour autant de serrures, sans compter les doubles, un petit texte livre des indices précieux, dans le but de favoriser les recherches et permettre de retrouver sans encombre les serrures correspondantes.
Toute une vie rangée dans des valises, et des caisses, elles-mêmes enfermées dans des malles, entreposées dans des lieux remplis de caisses. Métaphore de la mémoire, et des souvenirs enfouis. Des petites légendes dérisoires griffonnées sur d'humbles morceaux de carton, pour ne pas se perdre et jouer au Sherlock Holmes de son existence, indices pour ne pas oublier, pour conjurer le temps qui passe, un jeu de piste déroulé d'un lieu à l'autre, d'une malle à l'autre, des petits cailloux semés pour retrouver le chemin de sa vie rassemblée et enfermée à double tour pour empêcher qu'elle ne prenne la poudre d'escampette.

Clé ( n°79 ) 
Caisse à outils d'Aix 
Où il y a les plus gros outils
Un bricoleur aussi soucieux de l'étiquette trie méticuleusement ses outils, et les regroupe avec soin. Une grosse scie pour se séparer des attachements, un gros marteau pour enfoncer les évidences, un gros tournevis pour dévisser quelques illusions, et une grosse clé à mollette pour serrer quelques certitudes. Une médaille de laiton ovale qui porte le numéro 79 ( je doute que ce chiffre soit aléatoire, mon esprit de déduction me suggère plutôt qu'il s'agit précisément de la 79e caisse à outils, dûment répertoriée dans une liste qui en contient au moins 78 autres ) découpé comme un pochoir, et une petite rondelle de cuir, signe de reconnaissance indéchiffrable, sont attachés ensemble. Derrière l'étiquette, des précisions supplémentaires, bien utiles pour remettre la main sur les outils ( les plus gros ) :
Cette caisse est
dans la malle
8 au bureau
Des indications précieuses, parce que la caisse des plus gros outils est au bureau, et il est absolument nécessaire de le préciser, le bureau n'étant pas, en général, l'endroit le plus évident pour ranger des outils, bureau localisé à Aix, une autre précision utile en cas d'amnésie subite, entraînant une perte de repères dramatique, dans la malle n°8... rangée sous la table, enfermée dans une grosse armoire ( mais alors j'aurais certainement trouvé une ou plusieurs clés dudit meuble avec des étiquettes ) ou bien empilée contre le mur avec les malles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 et au delà, que sais-je ! Le bureau est donc encombré de malles numérotées, fermées à clé, chaque clé possède un double, et dans les malles, des caisses et des valises, avec des numéros, et des serrures, et forcément des clés qui les ouvrent. Vertigineuse mise en abyme, repérage balisé des profondeurs de la mémoire, où les souvenirs, les lourds et les légers prennent tant de place, et s'empilent, et s'emboîtent, et s'animent lorsqu'on soulève les couvercles.

N°3 Les cadenas de 
ces 2 petites clés 
doivent être dans 
la caisse à outils 

de Montolivet
voir si la clé de la
caisse n°4 n'est pas celle de la caisse de la Selle
ou l'une de celles de 
la chaînette cuivre
Les choses se compliquent avec une autre caisse à outils qui ne porte pas de numéro. C'est LA caisse à outils, qui ne contient pas les outils les plus gros, rangés ceux-la dans la caisse n°79, mais renferme d'autres outils et, peut-être, les cadenas des 2 petites clés. LA caisse ne se trouve pas avec l'autre, à Aix, mais à Montolivet, j'espère que c'est le quartier de Marseille dont il s'agit, parce que s'il faut aller chercher des outils près de Melun pour bricoler à Aix, ce n'est pas du tout pratique. Bon, l'essentiel c'est de localiser LA caisse à outils parce que les 2 cadenas qui pourraient être utiles un jour pour verrouiller une malle dans laquelle il y aurait une caisse ( à outils ) s'y trouvent peut-être. Une enquête s'impose, également pour vérifier si la clé de la caisse n°4 ( mais où se trouve la caisse n°4 ? Avec la caisse n°8 au bureau ? ou bien à Montolivet ? ) n'est pas plutôt celle de la caisse de la Selle ( la clé de la caisse n° 4 pourrait bien être celle d'une unique caisse entreposée ailleurs, dans une propriété nommée La Selle, sise sur la rivière La Selle, localisée à La Selle ? Je me perds en conjectures ) et si ce n'est pas le cas, alors il faut chercher du côté de la chaînette cuivre, qui possède plusieurs clés. A quoi peut bien servir une chaînette (  une petite chaîne NDLR ) en cuivre qui se ferme à clé ? Pour sécuriser un coffret à bijoux ? Une boîte de Havane ? Un album de timbres rares ?


I clé malle osier ( avec housse )
I "   malle CD ( A )
2 "  grde valise ( B )
Les doubles de A et B sont dans l'armoire après l'anneau
parce qu'en ayant besoin 
tous les jours pour
ouvrir malle et valise


La malle CD ( A ) et la grande valise ( B ) sont essentielles : elles servent tous les jours ! Est-ce qu'elles voyagent tous les jours ? Ou plutôt est-ce qu'elles contiennent des choses absolument utiles tous les jours et tiennent lieu de coffres de rangement ? Leur propriétaire refuse l'idée de s'installer, ou bien il voyage beaucoup, ce qui revient au même, et ne défait ni malle A ni valise B, ou encore il cultive l'idée de repartir très loin, un jour, demain. A moins qu'il ne craigne sans cesse l'obligation de fuir, et si c'est le cas, encore faudrait-il connaître ce qui pourrait le contraindre à de telles extrémités. Prendre la clé des champs, un comble, ou un rêve, pour un obsédé de la serrure ! Ainsi ses bagages sont toujours prêts, et il campe dans son appartement, en attente d'un ordre de départ ( intérieur aussi bien qu'extérieur ). Mais son extrême prudence pourrait bien lui jouer des tours. Il prend soin de fermer malle A et grande valise B à clé tous les jours, il se méfie de son entourage semble-t-il, mais en même temps, il doute de lui encore davantage, et craint d'oublier, aussi signale-t-il les clés qui permettent à tout un chacun d'accéder à leur précieux contenu, ruinant ainsi toutes les précautions qu'il a prises. A moins que sa prévoyance lui dicte d'éclairer les archéologues futurs de ses souvenirs en cas d'absence prolongée ou définitive de sa part.

2 clés
du sac de voyage
resté à 
Montolivet
Ah ! L'éternel voyageur a aussi un sac, qui a décidé de sa propre initiative de rester à Montolivet, sauf si son propriétaire lui-même a pris la décision de l'y laisser pour une raison obscure. Je récapitule, pour ne pas perdre le fil. Mon geôlier, maître des clés, travaille à Aix, vit parfois à Montolivet, et passe ses WE dans sa maison de la Selle. J'ignore l'endroit où il campe la plupart du temps, avec la malle CD et la grande valise, mais tous ces points de chute où il a laissé choir ses malles le contraignent à un  archivage méthodique.


Clé double
Malle CD
l'autre est une des 2 clés de la malle osier
La malle CD est vraiment précieuse... des initiales ? Charles Decoing ou encore Christian Delay... Christophe Dumont ou Cristobal Desfossez... 3 clés en tout, dont 2 doubles ( dont l'un des deux est, je le rappelle, accroché à l'anneau dans l'armoire, parce qu'il est utilisé tous les jours pour ouvrir et refermer la malle ) et le double de la clé de la malle en osier, protégée d'une housse. Tout est limpide, non ?


Clé petite malle
noire
 N° 31
à Montolivet
Lingerie qui était dans
la commode et dans l'armoire
de Jeanne        Lampes électriques tulipes sous le 1er compt.


La lingerie de Jeanne est rangée maintenant dans la petite malle noire. Est-ce que Jeanne est morte, et son mari, fétichiste en deuil, a vidé commode et armoire et voulu conserver amoureusement ses petites culottes en dentelle... en même temps, il a remisé dans la petite malle, avec la lingerie fine, les tulipes des lampes. Après les caisses à outils, cette petite malle noire, avec de la lingerie et des tulipes, c'est tellement tendre, et féminin, et gracieux. Est-ce que Jeanne les avait choisies, ces tulipes, attentive à la décoration de sa maison, et le lien qui les unit justifie qu'elles se retrouvent intimement mêlées à sa lingerie ? Ou bien la lingerie onctueuse constitue une protection approprié, un écrin providentiel pour ces accessoires délicats ? Les tulipes de verre, avec leur bord joliment volanté, sont généralement montées sur des cols de cygne, longues tiges recourbées qui penchent la tête pour éclairer doucement. Comme Jeanne peut-être, femme fleur au cou gracile.


Clé de la mallette
des poupées n° 10 bis à la craie
dans laquelle j'ai mis
une couverture et
deux tentures rendues 
par la voleuse
Une mallette des poupées, et c'est l'enfance qui s'invite furtivement. Cristobal avait rangé à l'intérieur une couverture, quelle drôle d'idée, je suppose que les poupées n'y étaient plus, la couverture pas davantage d'ailleurs, mais le larcin plié de la mystérieuse voleuse qui n'a pas de nom s'y trouve bien, l'infâme bonne femme ( je comprends mieux pourquoi Cristobal est aussi paranoïaque ), deux tentures qu'elle a été contrainte de restituer à leur propriétaire, qui ne lui a pas pardonné son geste inqualifiable, parce qu'elle est de la famille. Traîtresse ! Qui d'autre qu'une soeur, une bru, une fille, peut oser s'approprier les cossus rideaux damassés du salon de Jeanne juste après son décès, ou pire encore, pendant son agonie, les décrocher sans vergogne de la haute fenêtre laissée nue, le rapt ainsi crûment révélé ? Un scandale familial brièvement évoqué, les fameuses tentures sont en lieu sûr, en sécurité dans la mallette n°10 bis, rapidement estampillée à la craie, il faudra sécuriser cette identification avant qu'elle ne s'efface et que les tentures ne disparaissent à jamais, englouties dans une malle muette. La voleuse est interdite de séjour, reniée, et son nom a jamais honni. La fenêtre n'a plus de rideaux, tant pis, même si l'intimité n'est plus protégée, elle reste comme la preuve criante de l'affront. Il vaut mieux se passer dorénavant de tentures, si elles devaient de nouveau susciter l'envie, ou se voir revendiquées par un membre de la famille dénué de tout scrupule.


Clé double du haut
du coffre ( int du Bureau )
rue Angleterre
Il y a un coffre, caché dans le bureau ! Quelle idée de révéler cette information sur la clé qui ouvre le haut du fameux coffre ! C'est tenter le diable ! Une vraie provocation ! Cristobal a quand même pipé les dés, d'une part il n'a identifié que la clé du haut, ah ah, il a caché la clé du bas, et de plus, il faut savoir où se trouve la rue Angleterre. Un tel indice peut évidemment entraîner le voleur sur une fausse piste, à Londres, ou mieux, au fin fond du Gloucestershire !


Je ne me souviens plus à
quel cadenas appartiennent 
ces deux clés


Cela devait bien finir par arriver ! La prudence extrême, digue érigée contre l'inquiétude et les voleurs, s'effrite. Mon arroseur est arrosé. Malgré tous ses efforts pour que la vie reste bien rangée, ses tentatives ne lui permettent pas de tout contrôler. Les choses et les êtres que nous nous acharnons à posséder, à protéger, finissent par nous échapper et disparaissent, à jamais engloutis. C'est peut-être ce que Cristobal a fini par accepter, se débarrassant de toutes ces clés inutiles et en même temps de son obsession.

Le temps, très doux pour la saison, est devenu sans crier gare, glacial. Les fleurs de mimosa sont toutes racornies, leur auréole de lumière duveteuse s'est éteinte. J'attendais la neige, et ce matin, elle est là. Et même si je suis désolée pour le mimosa qui a perdu de sa superbe, je raffole de l'hiver, de la vapeur légère de mon souffle dans l'air cassant comme du verre. Les connexions dans mon cerveau semblent toujours davantage stimulées et guillerettes dans la froidure. Et puis, après un hiver rigoureux, le printemps éclate comme un éclat de rire, franc et clair.