La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

samedi 22 octobre 2011

Mille et une perles d'Orient

Odalisque. Jean Joseph Benjamin Constant.
J'ai pris des vacances loin du famous blog, et me voilà de retour, avec des trésors dans ma besace. Si je la renverse sur le tapis, roulent à mes pieds des cascades de pierres précieuses. Comme l'exposition à la Vieille Charité à Marseille, exploration dans la fraîcheur apaisante des pierres, de l'engouement du XIXe siècle pour l'Orient et ses mystères. La douce lumière des salles d'exposition offre une intimité particulière qui invite à cette rêverie au harem, alanguie sur un sofa, enfiévrée dans les volutes cotonneuses du kif, le murmure d'un jet d'eau dans une vasque turquoise, un plateau de cuivre chargé de fruits et de pâtisseries. La torpeur apparente ne saurait nous détourner des promesses d'intenses étreintes appelées par ces corps renversés, offerts, provocants. Dans la blancheur éblouissante du désert nu, hors des murs tapissés de mosaïques arithmétiques, les hommes chassent le tigre, mènent des assauts furieux, les chevaux ont les yeux fous, les sabots battent l'air, le fauve mord les jarrets de la monture cabrée. Le XIXe siècle rêve un Orient chatoyant, romantique, les femmes coulent des heures oisives, préoccupées uniquement de leur parure et de leur corps charnu, parfumé et appétissant comme un loukoum, espérant sans impatience la venue du Maître de maison, enturbanné et fier, qui saura les honorer avec fougue et audace, jusqu'au lever du soleil, là-bas, sur les dunes. Aujourd'hui, impossible d'oublier la condition d'esclave recluse des odalisques, dont la survie dépendait de leur soumission et leur attrait, de la fraîcheur de leurs charmes.

Almina Wertheimer. John Singer Sargent 1908

Le fantasme est si puissant, la nostalgie si tenace, que les riches occidentales succombent à la mode exotique, et jouent les Schéhérazade de salon. Pourtant Almina, héritière de très bonne famille, échappe au ridicule grâce au pinceau du peintre, libre et sensuel dans les plis soyeux de la robe, jusque dans les franges des adorables pompons qui bordent les manches du vêtement, livrant un portrait joyeux et charmant d'une jeune femme dont la beauté radieuse déjoue l'accoutrement théâtral.

Tous les peintres ne sont pas tombés dans la fascination facile d'un Orient d'opérette, paradis perdu de plaisirs enivrants nimbés de musc, dans un décor surchargé, où la profusion de motifs et de drapés ne sert que la démonstration trop appuyée de leur virtuosité dans le rendu de la matière. D'autres artistes ont préféré s'attacher à l'âpreté plus réaliste du désert, aux tempêtes tournoyantes et soudaines des vents de sable. Mais la vision de la nature indomptable reste romantique, et le souci réaliste confine parfois à une drôlerie inattendue, tant le détail se veut expressif. Les chameaux de la caravane aveuglés par le simoun, peints par Ludwig Hans Fischer, sont irrésistibles, et j'en ai croqué un rapidement, qui désamorce totalement la volonté dramatique du tableau.


J'ai goûté les oeuvres plus tardives, inspirées par les missions ethnographiques qui se développèrent au cours du XIXe siècle, et qui ont nourri une volonté de transmettre une vision plus respectueuse de la réalité de l'Orient. Les bronzes naturalistes de Charles Cordier sont infiniment touchants, dans ce parti-pris de l'artiste de rendre sa dignité et sa beauté à l'être humain, débarrassé du fatras de l'ornement et de la mise en scène de pacotille. J'ai aimé terminer mon voyage en Orient avec une oeuvre de Paul Klee, un dessin épuré et calme sur un support de gaze, qui laisse passer la lumière et la légèreté d'une architecture dépouillée à l'extrême.


Encore toute imprégnée de splendeur orientale, j'ai fait quelques jours plus tard une rencontre étonnante. Dans la vitrine d'un institut de beauté pour animaux de compagnie, un caniche pomponné prend la pose. Comme une odalisque, victime résignée soumise au caprice délirant de sa maîtresse, groupie de Paris Hilton, ou de la poupée Barbie, toutes deux adeptes du rose, utilisé comme arme de destruction massive.
La providence est décidément synchrone, et s'amuse à me faire de l'oeil. J'ai redécouvert dans ma boîte à couture, une plaquette en carton avec des boutons, échappée d'un rêve d'orient de plastique et toc, dérisoire et touchant.