La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

vendredi 15 avril 2011

Kakapo mon amour

Je me désole, alors que les crédits dans l'éducation et la culture fondent comme neige au soleil, la France finance le massacre, arme les hommes, occupe la mer et le ciel, se précipite dans le conflit. Dans cette période instable que nous traversons, la paix est si fragile, il me semble qu'il faut au contraire s'attacher obstinément à désamorcer les menaces en recherchant des solutions pacifiques pérennes. Nous souvenir de notre humanité, comme l'invoquait Joseph Rotblat alors qu'il recevait le prix Nobel de la paix en 1995, me semble plus que jamais d'actualité et le moyen le plus noble de s'impliquer.

Photo Department of Conservation CC
Mais ma complainte s'éclaire d'une euphorisante révélation. Je suis tombée en pâmoison, et l'objet de mon ensorceleuse passion s'appelle le kakapo. Il vit protégé sur quelques rares îlots de Nouvelle Zélande, des sanctuaires créés par les hommes,  ses prédateurs majeurs, pour tenter de freiner la disparition totale de l'espèce. Ainsi leur nombre s'est accru tout doucement, et nous recensons à ce jour, avec l'émotion et le respect qui s'imposent, 124 individus, de drôles de perroquets hiboux qui ne volent pas du tout. Leurs ailes trop petites ne leur servent pas à grand-chose, sauf à ralentir leur chute et réussir leur atterrissage lorsqu'ils s'élancent d'un arbre, ce qui n'est pas non plus négligeable. Piètre volatile, le kakapo se révèle formidable marcheur, il avance la tête baissée ( sa mauvaise vue l'oblige à regarder où il met les pieds ), son corps replet basculé vers l'avant, ses deux pattes robustes gauchement tournées vers l'intérieur. Si cette dégaine n'est pas franchement aérodynamique, elle lui confère un air délicieusement obstiné et ne l'empêche nullement de trottiner, sans se presser, pendant des kilomètres. Parce que le kakapo prend d'abord son temps, secret de son impressionnante longévité ( il peut vivre 60 ans, le plus tranquillement du monde ).


Department of Conservation CC
Dodu comme un chapon, ce rondouillard est recouvert de plumes légères et douces comme de la soie, qui fleurent bon l'étui de clarinette ! Ce mélange odorant évoque le cuir, la feutrine, le bois d'ébène et le suif mêlés. Ainsi mon kakapo sent bon la musique, et résonne comme un basson, en émettant un son grave et profond qui tonne à des kilomètres à la ronde. Il appelle de cette façon une femelle à le rejoindre, dans une cuvette confortable préparée à son intention, dont il a nettoyé minutieusement l'accès, en le débarrassant des feuilles et des brindilles qui l'encombraient. Sans être une kakapo, je suis sensible à cette attention que je trouve irrésistible. Comme je suis touchée par cette façon délicate dont ces oiseaux aspirent le suc des tiges des végétaux, avec leur bec pourtant épais et court.

Photo Brent Barret CC
 Cette bestiole à plumes pacifique, dénuée de la moindre agressivité et incapable de s'envoler pour fuir le danger, lente et presque aveugle, dégageant de surcroit un arôme subtil, était la proie idéale des hommes, des chiens, des furets, des chats sauvages jusqu'à la mise en place d'un programme de protection de l'espèce. Cette découverte d'un oiseau, dont j'ignorais tout jusqu'ici, a eu sur moi l'effet d'un baume bienfaisant, mon espoir d'un monde meilleur étrangement renfloué par les naissances  providentielles des bébés kakapos, mon émerveillement de vivre sur cette planète stimulé de nouveau par la rencontre avec un oiseau rare et émouvant. Me voilà éblouie, et comme à chaque fois reconnaissante.

vendredi 1 avril 2011

Fleur de tsunami

Le monde souffre, et éructe, et gronde, et je tremble. Pour le Japon à terre, calme et digne, couché dans l'eau boueuse empoisonnée, pour le monde arabe, fervent et rebelle, qui hurle sa soif de liberté et tombe sous les balles. Des sacrifices, des vies offertes, et adviendra-t-il, le règne espéré de l'Humanité sage et éclairée ? Dans ce tourbillon, des lumières clignotent. Les fondamentalismes n'ont pas réussi, pour le moment, à verrouiller les aspirations du peuple arabe. Il se bat pour changer le monde et pour accéder aux droits fondamentaux de la seule race qui prévale, la race humaine.
Un tsunami... Un nom trompeur, un traître, un sournois. Un fauteur de désastre, de maisons émiettées comme des biscuits dans la boue, d'arbres abattus et noyés, de voitures écrabouillées suspendues dans les airs, de paysages détrempés, d'âmes perdues errant comme des fantômes, abasourdies, et la mort qui flotte, transparente, légère... Une petite fille tient la main de son papa pour ne pas trébucher dans les monceaux de gravats, restes pitoyables de sa maison effondrée. Elle est si petite, ses yeux virgules fendus sous sa frange rectiligne, elle disparaît presque, engloutie dans un ciré orange rigide comme une boîte... elle cherche à retrouver sa chambre dans les décombres. Elle pousse un cri joyeux, et se précipite vers un tutu ébouriffé, immaculé, posé intact, éclos dans la boue comme une fleur lumineuse d'une pureté étincelante. La petite fille le serre contre elle, son petit visage ravi émerge du tulle froufroutant. Elle a retrouvé sa robe préférée, et là, au coeur de la tragédie, soudain, la grâce.
Les images de la Lybie enfiévrée déferlent sur l'écran, la caméra pénètre à la morgue derrière un insurgé en colère qui veut témoigner de la violence des combats. Il ouvre un tiroir de métal, et tire pour dégager un corps enveloppé, un ami massacré par les mercenaires ennemis, un parent peut-être, un voisin, icône d'un peuple meurtri et fier. Du tunnel obscur, une couverture émerge, qui protège et dérobe le corps aux regards, imprimée de grosses fleurs épanouies rouges et jaunes. Au milieu de cette détresse, des cadavres empilés, subitement l'horreur de la guerre s'éclaire d'un jaillissement incongru de couleurs pimpantes. La vie explose, et l'espace d'un instant, le chaos et le drame s'effacent.

Moi, pendant ce temps, dans un autre coin du monde, je vis une saison des amours bien particulière. Non, pas une attaque du fameux démon de midi. Non, voici revenue la période ou crapauds et grenouilles migrent, et retrouvent la mare où ils sont nés pour copuler toutes les nuits. J'écoute avec extase les coassements frénétiques et rauques monter dans la nuit parfumée et humide. Le romarin est en fleur, et le jasmin, et la glycine. Les pins, gorgés de pollen, sont prêts d'exploser. Le printemps est là, arrivé depuis quelques jours sans crier gare.
Plusieurs départements ont fermé des routes pour protéger la traversée de nombreux amphibiens surexcités, pressés de se jeter à l'eau au milieu des nénuphars, des roseaux et des papyrus. D'autres ont installé des glissières, qui amènent sans dommage les animaux impatients jusque dans un trou d'eau. Là, récupérés par un passeur précautionneux, ils sont transportés dans un seau de l'autre côté de la route meurtrière. D'autres encore ont creusé des crapauducs sous la route, des tunnels, pour protéger leur pérégrination pour la survie de l'espèce. Madame, replète et endurante, porte monsieur sur son dos, un gringalet sans la moindre envergure, jusqu'au lieu de leurs ébats aquatiques.
Parfois elle s'enfonce dans l'eau sous le poids de son ingrat compagnon, elle coule à pic, et termine le voyage noyée, sans avoir eu le temps de s'abandonner aux assauts de son mâle imbécile, qui aplatit lui-même au fond de la mare boueuse, l'objet malheureux de ses désirs égoïstes.
J'ai cherché pour connaître la raison d'autant de soins et d'attentions prodigués à nos adorables amis baveux et pustuleux pour protéger leur reproduction. Outre le fait que les crapauds mangent les mosquitouzes, je me suis rappelé que ce sont des princes charmants en tenue de camouflage.
Sinon, j'attends avec impatience l'exposition des photographies de Klavdij Sluban à l'Hôtel des Arts. Personne ne me parle comme lui de l'exil, du voyage éternel à la recherche de soi-même, de cette quête désespérée d'un endroit pour appartenir, au milieu de nulle part, et d'êtres pour s'attacher qui sans cesse se dérobent, se figent, et fondent dans le noir. Pour toujours insaisissables.