La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

lundi 26 décembre 2011

Joyeuses Fêtes



Mon sapin cette année est réduit à sa plus simple expression, épuré, graphique, débarrassé du superflu, un sapin de temps de crise, non dénué d'humour et de poésie cependant, un sapin d'hiver qui attend le printemps, un sapin qui laisse passer les gouttes, oui, notre vieille Europe prend l'eau, nos modèles fuient de toute part, nous voilà arrosés, transis, ballotés par des vents défavorables, mais la pluie lave, ravive les couleurs, réveille, stimule les petites pousses qui dardent leur pointes vertes vers le ciel.
Une carte de voeux pour les amis qui passent par ici. Je vous souhaite des fêtes toniques, pleines d'espérance.


Lorsque nous écoutons le fracas de l'arbre qui s'abat, nous ne pouvons pas entendre la forêt qui pousse. 

Ce proverbe est parfois africain, quelquefois indien, et aussi de temps en temps attribué à Hegel mais peu importe. J'adopte ce sage conseil  universel de ne pas me laisser distraire par le vacarme, et de rester concentrée sur les signes qui annoncent le renouveau. Je ne veux pas mourir demain, ou après demain, désabusée, ou abasourdie, ou encore sidérée. Je veux mourir bien vivante, et non pas recroquevillée sous un parapluie qui me cache le ciel.

mercredi 21 décembre 2011

Le Père Noël est un artiste

Entrée libre

Je me consacre enfin à la chronique d'un évènement culturel auquel je contribue en ce moment comme médiatrice, avec plusieurs jours de retard. La maîtresse acceptera mon mot d'excuse si elle sait que j'ai mis du coeur à l'ouvrage ( et oui, je l'ai jeté dans l'aventure ) et qu'un virus nomade colonise ma gorge, embrume ma voix, enserre mes tempes et carbonise ma poitrine. Personne ne m'a demandé de me consumer sur l'autel de l'Art et des artistes, mais comme d'habitude, je fais mon intéressante.
La Place des Arts à Toulon est une association dont la mission est tellement unique qu'elle mérite d'être distinguée. Elle offre en premier lieu une écoute attentive, et dans cet espace ouvert, un projet artistique peut s'énoncer, ensuite se construire dans la réalité, et au contact des autres, s'enrichir et s'affirmer. Et par les temps qui courent, ça fait du bien.
Du mieux qu'elle peut, et avec les moyens du bord associatif, elle accompagne les acteurs du secteur culturel pour mener à bien leurs projets professionnels. En leur apportant du conseil, de la formation dans des ateliers spécifiques et adaptés ( créer son site internet, choisir son statut fiscal et social, réaliser son book, développer son réseau... toutes ces étapes indispensables ), et en mettant à leur disposition une galerie boutique.
Noël approchant, l'occasion était toute trouvée pour solliciter les créateurs de la maison Place des Arts à aller à la rencontre du public, plus enclin peut-être en période de Fêtes à accueillir les suggestions de cadeaux.
Le Noël des créateurs s'éclate au coin de la rue, c'est le moyen de tricoter du lien, de fédérer les talents autour d'un évènement, de provoquer les rencontres, d'écrire un itinéraire comme une guirlande autour d'un lieu d'exposition, proposer un lèche-vitrine avec des oeuvres qui attisent les convoitises, tenter d'allumer un coin de quartier un peu ingrat, et des ombres qui dansent sur les façades des maisons murées. C'est la façon dont je vois les choses, avec humilité ( la médiation est au service des oeuvres, des artistes, du public ) et audace en même temps ( parce que j'y crois encore ).




Petite visite commentée, hop là, c'est par ici !


Les planches sont épaisses, usées comme un pont de bateau, creusées au milieu et l'herbe y pousse, et découpe un  rectangle de verdure où l'on pourrait semer des fleurs... La table de Bertrand Paul subit une mutation, devient pelouse, évoque le pique-nique à la campagne, et étrangement, entretient une drôle de connivence avec l'installation ludique et poétique de Thomas Bissière, Le Déjeuner sur l'herbe. Posée sur un tapis vert et dru, une table épurée à l'extrême, et dessus, comme sur un écran, l'image projetée d'une jeune femme qui tournoie, semant autour d'elle les fleurs du tissu imprimé de sa robe d'été. Hypnotique et lancinant, comme un souvenir qui vous obsède.




Dans la vitrine, les cartes postales tendres de Lisa Dora Fardelli redonnent le goût de la correspondance, celle qui fait coucou, juste comme ça, semée de petites phrases...  Il fait très beau je pense à toi bisous.
Les lampes et suspensions de Delphine Augé, choux de papier plissé froufroutant, défient la pesanteur, ou invitent au recueillement, livres ouverts dont on ébouriffe les pages et qui font le dos rond sous la lumière.






Les petits personnages de papier de Renaud Piermarioli, courent en  rond, pressés, absurdes et fragiles, sans jamais se rejoindre. Hé ! Ne pars pas ! Attends moi ! Pfff... hh... hh... Pfff...
C'est drôle, et tragique en même temps, comme la condition humaine.
Où il est dit qu'il est incontournable de courir après l'inaccessible.


Et si nous poussions la porte pour entrer ? 



La mort sourit de toutes ses dents cannibales, parée, tatouée, brodée, fardée, emperlousée et provocante, ravageuse et tape à l'oeil. Les crânes de papier mâché de Frédérique Montagnac hypnotisent et ricanent, roulent des orbites fleurs et des yeux paillettes, se moquent de notre fascination superstitieuse, claquent des crocs dans un show chicano, et racolent comme une attraction de fête foraine.


Un collier, dans l'univers d'Anne Daniel, peut tenir chaud, comme un petit col prévenant qui se boutonne, et oblige à porter la tête haute. Il y a des reines qui subliment les brins de laine, choisissent le bois flotté comme parure, érigent la noix de cyprès au rang de pierre précieuse, et empruntent les franges des abat-jours pour voiler joliment la naissance de leur cou.



Vincent Yohannhardt, Méphisto du container en PVC, transfigure bidon, jerricane et bouteilles, il les chauffe, les tord sous la flamme, les perce, les évide, les écrase, et la lumière à l'intérieur, c'est le feu qui couve... Maquillée de peinture métallisée, la matière triche, et éclabousse le mur de gouttes ambrées.






Les déclinaisons ludiques d'un crochet à vis, mis en scène dans tous ses états, dans des vignettes laconiques, sont si pertinentes et si drôles... hameçon du poisson, point d'interrogation, haltères du gymnaste....  Renaud Piermarioli, avec des petits dessins qui disent tout l'air de rien, explore le jeu des possibilités et des combinaisons qui font mouche.

Lisa Dora Fardelli dessine des lapins roses avec des nez comme des coeurs pailletés, des petits nuages flottant et irisés, et des fleurs sur de longues tiges. Elle dessine de très beaux portraits de femmes, sensuels, avec un trait sûr, nerveux et élégant, des encres douces en lavis qui laissent passer la lumière. Elle dessine aussi des corps nus, renversés, offerts, ouverts, sauvages et provocants, décapités, écartelés. Lisa Dora est une drôle de fille, un mélange détonnant d'enfance, sucrée et tendre, et de crudité débridée qui n'a pas froid aux yeux.





Demi mondaine



Quel mystère inquiétant s'échappe de cette oeuvre à la fois provocatrice, irrévérencieuse et solennelle. Une femme est mise en scène, comme dans un portrait de cour, elle est assise en robe de marquise. Sa tête étrangement est celle d'une poule, cocotte travestie, et son bras brandit un sceptre étrange, un instrument d'astronomie, qui mesure la course des astres et pousse comme un arbre.  
Marc Bonet Durbec emprunte à la tradition du photomontage dada, et greffe éléments organiques et mécaniques pour recomposer une figure hybride et onirique, qui sonde avec un humour grinçant le rapport entre l'image et les mots et le vertige des apparences.






La maison Place des Arts accueille d'autres pensionnaires, et grâce à Patrick Palmer, photographe, qui capte les reflets de la ville, l'ancienne qui s'éteint, et un instant vacille encore, et la nouvelle qui pousse, je voudrais rendre hommage au chat. Comme il existe des rats de bibliothèque, Diamant est un chat d'exposition, immobile et délicat, un chat mélancolique et graphique qui parfois graphe, mais jamais ne gratte ni ne griffe.  

Et pour compléter, histoire de ne pas mourir totalement idiot(e), petit tour des blogs amis qui relaient l'évènement, celui de Patrick Palmer, celui de La Fiancée du pirate, celui de Florence Galibert, la fée majeure de Place des Arts, le blog officiel de l'association ADAI-Place des Arts, celui de Variation.
Et pour finir, Iconophage, l'émission culturelle de Radio Active. Des liens en veux-tu, en voilà, et TRA LA LA, LA LA !

samedi 3 décembre 2011

Coup de boule

En 1877, George Anthème Lenepveu avait 20 ans et travaillait comme apprenti chez un maître verrier, à Bayeux. Il était aussi livreur, et apportait régulièrement leurs commandes aux clients, avec le soin et la délicatesse qui convenaient à une aussi fragile marchandise. Un jour, il se rendit dans un grand hôtel, luxueux, dont l'histoire n'a pas jugé bon de retenir le nom, pour déposer un service de verres et curieusement, ce détail est parvenu jusqu'à nous. Cette livraison, banale obligation liée à son activité professionnelle, allait bouleverser sa vie. Il croisa par hasard la jolie Natalia Fedorovna Korkov, jeune demoiselle en vacance, pas farouche pour deux sous, et dont le naturel et la sincérité faisaient fi de la conscience de classe. Elle confia sa nostalgie au jeune prolétaire, et même si sa bonne éducation lui dictait de ne pas froisser son interlocuteur en critiquant la Normandie qui l'ennuyait à mourir, elle avoua son impatience de retrouver au plus vite les neiges de sa Lituanie natale. George Anthème en perdit totalement la boule, et tomba éperdument amoureux. Les confidences de la jeune Natalia l'émurent profondément et il n'eut de cesse de trouver un moyen de rendre le sourire à la belle éplorée. Sa brûlante passion l'inspira, et il créa un cadeau inédit, tendre et poétique, une boule de verre qui contenait de la neige qui virevoltait quand elle était gentiment secouée. Ainsi, lorsque Natalia était en proie au cafard, plutôt que de s'abîmer dans le désespoir, elle agitait la boule de son prétendant, faisait tomber la neige, et souriait. La première boule à neige était née, inventée par amour, pour sauver de la dépression une adorable exilée.
Certes, George Anthème faisait tomber la neige sur la cathédrale de Bayeux, sa référence touristique à lui ( j'imagine qu'il n'avait pas beaucoup voyagé ) enfermée dans une bulle d'eau et de verre, plutôt que sur Vilnius ou la mer Baltique. Qu'importe, le charme opérait malgré tout, la seule vue de la neige revigorait le coeur slave de la douce Natalia habituée à la froidure et j'imagine qu'une fois rentrée dans son pays avec la petite boule, elle l'a posa sur une étagère lituanienne, souvenir qui lui rappelait l'offrande touchante de son amoureux éperdu.
Le patron maître verrier de George Anthème fut impressionné par le talent de son jeune apprenti, et décida d'utiliser sa performance technique pour présenter des créations originales à l'Exposition Universelle à Paris en 1878. Les visiteurs enchantés découvrirent alors les boules de verre refermées sur un petit sujet et des flocons follets. Mais si George et son boss comptaient faire fortune dans la boule, ils furent incapables de protéger leur trouvaille. Las ! Les industriels rapaces s'en emparèrent, et quelques années plus tard, à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1889 où la tour Eiffel fut inaugurée, des milliers de boules à neige commémoratives inondèrent Paris. Le succès fut foudroyant, mais George Anthème ne recueillit jamais les fruits de son génie. De quoi avoir les boules jusqu'à la fin de ses jours ! Le malheureux partit même en Russie pour tenter de retrouver sa bien aimée, et revint bredouille. L'histoire ne dit pas si elle refusa de l'accompagner en Normandie, ou bien s'il ne parvint pas à la retrouver. Mais il rentra seul à Bayeux, son amour perdu, et dépossédé de ses boules dont il ne put jamais revendiquer la paternité. Quelle triste histoire ! Mais la boule à neige continua allègrement sa trajectoire vers le succès, franchit les frontières, longtemps dédiée aux sujets religieux, à la Sainte Vierge surtout, impassible sous les flocons, dispensant sans fléchir dans la tourmente son immense mansuétude.

Avec l'avènement des congés payés, la boule à neige devint souvenir de vacances, les stations balnéaires grelottaient, minuscules territoires prisonniers d'un blizzard furieux, les stations de ski devenaient à la mode, et il neigeait sur les sapins derrière la fine paroi transparente. La boule à neige conquit l'Europe, le monde, l'hiver s'abattit sur tous les coins de la planète, sur les capitales et les monuments remarquables, sans souci de la latitude et au mépris des conditions géographiques. Il n'y avait pas que les verres d'eau qui subissaient les tempêtes, dans une bulle de verre, le temps mauvais était prisonnier, mais s'acharnait en vain sur un décor intact. Le souvenir résistait à l'ouragan et émergeait du désastre. Les tours jumelles du World Trade Center sont toujours debout, saupoudrées de neige et de paillettes, sous leur dôme délicat.
Enfant, j'ai tremblé pour le petit chalet perdu dans la tempête, j'ai tremblé avec délice, parce que je décidais du sort de cet univers de poche livré à ma merci, je commandais aux éléments. Je choisissais la fureur qui se déchaînait sur les buildings et les palmiers du désert, les pyramides et le voilier sur les
vagues, j'acceptais magnanime de laisser le calme revenir, et les petits flocons tourbillonnants retombaient silencieusement. Ivre de pouvoir, je régnais sur la météo, je tenais le monde au creux de ma main, San Francisco, Bruxelles, Lisbonne, Rome et Tokyo, j'étais une géante, je déclenchais les bourrasques, et le temps m'obéissait. J'étais Dieu, j'étais partout à la fois, et ma puissance balayait l'Univers. D'autant plus impitoyable que son déchaînement ne laissait aucune trace de son passage, le monde retrouvant chaque fois son immobilité tranquille et protégée.
Traveler 250. 2008

Traveler 170  2010
Deux artistes contemporains ont choisi la boule à neige pour y enfermer des petites scènes mystérieuses, souvent inquiétantes. De minuscules drames silencieux et captifs qui n'espèrent aucun secours. Une balade sur le site de Walter Martin et Paloma Munoz s'impose !

mardi 29 novembre 2011

Catalogue des nuées

Me voilà dans les nuages, icônes météorologiques et symboles du monde onirique, reliant le rationnel et le spirituel, le scientifique et le magique.
Les nuages parlent du temps qu'il fait, des orages qui se préparent et du calme espéré, ils cachent la maison du Père Noël, et abritent le Paradis. Ils inspirent les poètes, les rêveurs, ceux qui espèrent s'affranchir de la pesanteur ici bas, persuadés que l'infinie perspective les libèrera de  l'étroitesse de vue. Dans leur course mouvante effilochée par le souffle du vent, ils recueillent les prières et enfouissent les secrets dans leurs joues molletonnées. Etiré, effrangé, éparpillé, pommelé, dodu et boursouflé, nacré, iridescent, mordoré, primesautier, transparent, diaphane et froufroutant, sombre et menaçant, lourd, dense et barbouillé, le nuage a ses états d'âme.

Dans le monde des nuées, la hiérarchie la plus stricte est de mise et structure l'espace floconneux. Tout en haut, au-delà des 5000 mètres d'altitude, dominent les cirrus, élégants et bouclés, ceints de cristaux de glace miroitants. Le dessus du panier céleste, même si parfois des unions sont consommées avec des occupants des couches inférieures. A l'étage du dessous, plutôt vers 3000 mètres, les cumulus, comprenez les rondouillards gonflés de gouttes d'eau, mais qui n'annoncent pas forcément la pluie, privilège réservé aux nimbus de la même famille. Enfin, le rez de chaussée, où prolifèrent les stratus, sortes de millefeuilles ouatés en couches disposés, dont la plus banale des métamorphoses au raz du bitume, se trouve être notre vulgaire brouillard. Si chacun voulait bien rester sagement à sa place à l'altitude qui lui est dévolue, l'ordre pourrait régner dans le ciel. Mais les nuages sont rebelles et s'acoquinent sans vergogne, multipliant les liaisons les plus fantaisistes, cirrocumulus, cirrostratus, stratocumulus, nimbostratus et j'en oublie, créant un joyeux foutoir dans l'azur. Pour compliquer davantage la situation, chaque famille nuageuse, selon l'altitude où elle perche et son apparence, se décline en plusieurs genres. Ainsi les castellanus surmontés de tours crénelées comme les châteaux du Moyen-Age, les spissatus, entonnoirs pissant les orages, les fibratus, filamenteux plutôt que floconneux, les vertébratus, hérissés comme des arêtes de poissons volants, les calvus, au sommet lisse et rond, les capillatus, hirsutes et chevelus, les floccus, joufflus et rebondis, les mamma qui portent sous leur ventre des guirlandes de tétines gonflées d'eau, les radiatus, qui ne chauffent pas, mais rayonnent.

J'ai pensé longtemps que les cumulus étaient inoffensifs, avec les fractus amoindris en longues traînées alanguies, les humilis, petits nuages pétaradant sans prétention dans le ciel d'été, les mediocris, qui comme leur nom ne l'indique pas, affichent un volume fort respectable, débonnaires sans aucune précipitation annoncée. Mais j'ignorais l'existence des congestus, choux-fleurs de mauvais augure, et des pyrocumulonimbus, champignons funestes jaillis d'une source intense de chaleur, et qui couronnent l'explosion de la bombe atomique. Hormis ces patibulaires, les cumulus ont l'air serein, mais il ne fait pourtant pas bon les croiser en altitude. Maniaco dépressifs, sujets à des accès de violence, ils chahutent les avions qui dévissent du firmament, et s'écrasent au sol, aspirent les planeurs égarés, enserrent les carlingues d'étreintes glacées et mortelles, les cisaillent en pluie de confettis métalliques. Gare aux parachutistes et autres parapentistes ! Le cumulus n'en fait qu'une bouchée et les happe dans ses cumuli trompeurs. Siphonnés, puis asphyxiés, congelés et enfin électrocutés, les malheureux ne survivent que rarement à une rencontre aussi cumulante. Sauf Ewa Wisnierska, championne allemande de parapente, et fille de l'air héroïque. Elle a survécu à une aspiration ascensionnelle de 9000 mètres à l'intérieur d'un cumulonimbus glouton et récupéré toutes ses facultés, pourtant dramatiquement secouées !

Au ciel, c'est là que certains croient qu'ils iront après leur mort, retrouver les nuages qu'ils n'ont pas aimés sur terre quand ils s'amoncelaient, portant leur ombre menaçante sur leur bonheur fragile. Au Paradis, le temps est couvert, la béatitude est truffée de nuages imprévisibles qui bouchonnent, fondent dans l'azur comme des sucres, et cristallisent de nouveau, sans fin. L'Eden devrait récompenser d'abord les amoureux de la true life, familiers des orages, des horizons incertains et insaisissables, des ombres qui glissent et des certitudes qui s'évanouissent, ceux qui n'ont que faire d'une félicité couleur de ciel bleu, immobile et vide.

lundi 14 novembre 2011

Les chouettes chaussettes de l'archiduchesse


J'ai aujourd'hui une folle envie de parler chaussettes. De vraies chaussettes, les seules qui vaillent, celles qui sont tricotées à la maison, avec tous les restes de laine rescapés de travaux d'aiguille plus ambitieux, et enroulés en petites pelotes et écheveaux qui tapissent le fond de la corbeille à ouvrage. Je trouve que le bas de laine est un sujet approprié aux temps de crise. Il suggère l'économie, mais plus que la sauvegarde d'un pécule chargé de se prémunir d'un avenir incertain, il concrétise le talent de créer quelque chose de beau avec presque rien. Les chaussettes tricotées sont généreuses : elles sont confortables, chaudes, affectueuses avec les pieds, et leur côté roots, qui pourrait manquer de raffinement dans certaines circonstances, n'est pas un handicap pour notre image, si leur usage est réservé à l'intimité du foyer. Leur aspect définitif est assujetti à la quantité de laine dans les pelotes, aussi elles sont le plus souvent dissemblables, mais toujours leur duo reste harmonieux. Singulières mais néanmoins en couple, elles remplacent avantageusement tous les chaussons et autres pantoufles, la plupart du temps totalement dépourvus de sex-appeal. Je le proclame, la chaussette de laine tirebouchonnée sur un pantalon de jogging avachi a un effet désastreux sur l'estime de soi ( la nôtre, et celle que les autres nous portent ) et l'apanage des archiduchesses revêches et souillons, mais avec un short moulant et des gambettes qui vont avec, le résultat est tout autre. La version plus chic, assortie d'un long pull-over cachemire, est une suggestion réservée aux princesses. Et puis, évoluer dans la maison en chaussettes, permet de s'adonner au plaisir de la glissade comme moyen de locomotion et de gagner un temps précieux dans la traversée du couloir, comme de s'asseoir sur les fauteuils les jambes repliées sous les fesses, ma position favorite, sans avoir besoin d'enlever ses godasses. Là aussi l'avantage est loin d'être négligeable, sans compter le frisson né de la transgression délicieuse d'un protocole guindé. Je m'élève fortement contre cette opinion qui accuse la chaussette de laine d'être urticante. Elle s'adoucit au fil des lavages, et devient moelleuse en prenant de l'âge, et les pieds délicats peuvent être protégés en glissant sur leur épiderme fragile une fine socquette de fil, ou, luxe extrême, de soie, tout risque d'allergie ainsi définitivement écarté.

Dernier point que je tiens à soulever ici, la chaussette tricotée donne envie de la repriser pour la garder plus longtemps. Le raccommodage contribue encore à accentuer la tendresse qu'elle provoque en soi, et son joyeux rafistolage évoque la compassion. Je suis intimement persuadée des vertus de la réparation des choses sur la guérison de nos propres blessures. Repriser, repeindre, restaurer un meuble par exemple, nous aident à reconquérir notre appétit de vivre en reconnaissant nos bobos intimes qui deviennent nos forces alliées. Si la bienveillance s'installe pour nous-même, elle a de fortes chances de s'étendre aux autres. Ainsi la chaussette de laine tricotée agit comme une bienfaitrice de l'Humanité.

Noël approche, et j'offre au famous blog un sapin primeur. J'ai découvert un parapluie Christmas tree du plus bel effet. Se protéger des gouttes de pluie sous un arbre de Noël en nylon vert à étages, bordés d'un ruban froncé, est une perspective qui me ravit. J'imagine quelques boules supplémentaires, de quoi me transformer en carte de voeux ambulante, allumer le temps maussade et raviver Noël dans le coeur des passants.

mercredi 9 novembre 2011

L'ivresse des profondeurs



Une bourgade de la Côte d'Azur s'illustra dans les années 50 dans la fabrication de barbotines charmantes et lumineuses que l'on trouve encore dans les brocantes et les vide-greniers. Amphores brisées dont la béance laissait voir l'intérieur, poissons le ventre découpé, coquillages aux valves entrouvertes laissant admirer un décor marin, algues dentelées, petits poissons frétillants, anémones ébouriffées, coquillages et étoiles de mer. Les couleurs de la faïence étaient vives et pimpantes, brillantes et surlignées de filets d'or, et une petite ampoule s'allumait le soir, révélant les profondeurs d'une grotte, accrochant des reflets d'émail et de nacre. Le fond de la mer devenait bijou de fantaisie, petit trésor de pacotille dans son écrin, luisant gaiment dans le noir de la chambre, découpant des formes sous-marines au plafond et veillant paisiblement sur le sommeil. Les barbotines de Vallauris devinrent célèbres, contrepoint populaire et accessible des créations illustres de Picasso, Chagall ou Matisse, transportant le soleil et la luxuriance de la Méditerranée, univers miniature éclatant de vitalité, dans les foyers de France. Elles pétaient la joie, un tantinet vulgaires et totalement kitsch, clinquantes, excessives, ravivant sans complexe le souvenir des vacances. Elles trônaient sur la télévision aux formes arrondies, sur le rebord en brique rouge de la cheminée, et la table de chevet en rotin, parfaitement assorties au lampadaire en fer forgé, éléments incontournables de la déco des années 50, qui s'affranchissait de la grisaille et de la sévérité. Même le fil électrique était décoratif, turquoise ou orange, et le soin du détail contaminait l'interrupteur en bakélite ( petite olive craquante avec son poussoir récalcitrant ) et la prise, parfois bicolores. Elles allumaient une part de rêve et de légèreté, témoins naïfs du développement du tourisme de masse sur la côte d'Azur, icônes, avec les cartes postales dentelées, et les coffrets à bijoux incrustés de bigorneaux ( ah ! la petite étiquette en papier doré, estampille de la mémoire ), du souvenir fabriqué en série.




Les années 50 affranchirent l'utile, il devint esthétique, plein d'esprit et ludique. Les potiers de Vallauris ne furent pas en reste, et surfèrent sur la vague déco déferlant sur l'objet du quotidien, pas toujours avec bon goût mais souvent avec exubérance. Les tasses se hissaient sur 3 petits pieds et décollaient des soucoupes, les plateaux à fromages se faisaient remarquer, les vases enroulaient leurs anses démesurées, les cendriers se muaient en coquillages, les raviers en feuilles vernissées, les poissons en pichets avec des nageoires, les légumes en salières... Une folle transmutation des genres et des usages, des surfaces laquées dévorées d'écume, des éclaboussures, des taches vives qui se rétractaient sur des fonds sombres incorruptibles, des entrailles écarlates, et le noir faisait chanter les couleurs qui explosaient. La notion d'utilitaire s'élargit pour stimuler la pulsion consumériste, et la ménagère branchée s'offrit le luxe du superflu, le service à liqueur devint indispensable, le bougeoir incontournable et la bonbonnière, une pièce maîtresse de l'intérieur moderne, organisé et beau. La vaisselle quittait la cuisine, s'échappait du placard, guinchait jazzy, musette, opéra de quatre sous, frimait et s'exhibait, déchaînée.

mardi 8 novembre 2011

Mystères et boules de gomme

Tout au long de mon enfance, des expressions, des phrases mystérieuses glanées au fil des conversations des adultes me plongeaient dans la perplexité la plus complète et m'entraînaient dans des rêveries sans fin. L'une d'elle était la flamme du soldat inconnu. Combien de suppositions, d'interprétations toutes plus fantaisistes les unes que les autres, que je préférais à une explication me ramenant à la réalité la plus triviale. Cette fameuse flamme m'enchantait. Elle éclairait pour moi la voie du courage, de l'audace, et de la passion qui enfiévraient ce militaire mystérieux, qualités si intenses qu'elles ne pouvaient s'éteindre et continuaient à flamboyer sous l'Arc de Triomphe. J'appris que la nation prenait soin tous les jours de son feu patriote, pour le remercier d'avoir autant brûlé pour elle. J'étais remplie d'admiration devant une mission aussi élevée : raviver la flamme pour qu'elle ne meure jamais. J'hésitais longtemps pour choisir ma destinée. Raviveuse de flamme me semblait enviable, j'ignorais alors qu'il existait de multiples façons d'allumer les passions. Mais mon enthousiasme fut enseveli sous les révélations les plus sombres. J'appris que les hauts faits du soldat étaient muets, comme sa biographie. S'il était inconnu, c'est parce qu'il était méconnaissable. Le trouble excitant du héros masqué s'évanouit, pour laisser place au cadavre déchiqueté d'un pauvre troufion, à jamais sans histoire, sans famille pour le réclamer, sans amis pour le veiller, et sans amour reconnaissant pour déposer sur sa tombe des fleurs.
La salle des pas perdus connut le même dénouement. Quelque part, un lieu affamé engloutissait les pas de ceux qui en foulaient le sol, un lieu où l'on marchait en vain sans trouver d'issue, où les traces s'effaçaient ! Je découvris que l'espace glouton n'était qu'un vulgaire vestibule où l'on trépigne, un passage anonyme que l'on traverse en se pressant, une salle d'attente où l'on fait les cent pas. C'était partout et nulle part, seule la démesure glaciale de l'endroit dominait, qui interdisait à chacun de s'y attarder, même pour reprendre son souffle.





Heureusement, l'initiative récente du designer Charles Kaisin a sauvé pendant quelques mois de la froidure polaire, la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Sur une immense trame de fils rouges tissés au plafond, il a suspendu 10.000 origamis, des fleurs d'iris pliées dans des pages du code civil et pénal, un travail minutieux réalisé par des détenus de la prison de Saint Gilles. Un champs de fleurs virevoltait au-dessus des têtes au moindre souffle d'air, fragile kaléidoscope de papier, éphémère et ludique. Le passant étonné ralentissait sa course et s'arrêtait le nez en l'air. Le pas perdu n'était plus égaré, et reprenait son chemin après une halte récupératrice de forces nouvelles.


Poupon baveux
Je sus très vite que la destinée humaine pouvait être rude, et qu'il fallait s'attendre à lutter le plus clair de son temps, mais en baver des ronds de chapeau, alors ça, c'était inacceptable. Baver, c'était déjà dégoûtant, et ressembler à une gargouille barbouillée de salive ne me tentait pas du tout, mais cracher, que dis-je, expectorer des chapeaux mutilés, c'était effrayant. Je plaignais sincèrement les malheureux soumis à ces abominations, qu'avaient-ils donc fait pour mériter une telle humiliation ? Pour accroître encore le tragique de leur situation, les chapeaux bavés devaient avoir piètre allure, tout ramollis, informes, vaguement visqueux, et dépourvus de bords. De misérables cloches, galurins définitivement irrécupérables !

J'aborde encore une fois la religion, pour évoquer l'ImmaTRIculée Conception. J'avais une dizaine d'années je crois, et j'ignorais tout du mot immaculée. J'ai cherché à faire mon arrogante, et mademoiselle je sais tout s'appropria le vocable inconnu en misant sur de vagues réminiscences qu'elle ne maîtrisait pas. Mon bricolage linguistique accrut ma perplexité. L'Immaculée Conception, mystère déjà complexe à appréhender si l'on n'est pas doté d'une foi solide, devenait une aberration pour l'entendement, affublée d'une plaque minéralogique. La Vierge Marie avait mis au monde le petit Jésus, jusque là je comprenais à peu près la situation, je refusais néanmoins les détails scabreux concernant le fruit de ses entrailles ( beurkkkkkkkk ! ), et le fait que Joseph était bien son mari, mais pas le père de son divinenfant. Le père, me laissais-je dire, bien qu'une telle révélation me heurta, le père était Dieu, qu'elle n'avait jamais rencontré mais qu'elle connaissait quand même. Soit, mais je mis davantage de temps à accepter que la maternité de Marie nécessitât qu'on la numérotât. Marie, première mère porteuse bénévole de l'Histoire, fallait-il l'identifier comme le saint véhicule qu'elle était ? Transportant Jésus dans son ventre sur des routes peu sûres, pouvait-elle s'égarer, et ainsi son matricule lui garantissait d'être identifiée, reconnue et protégée ? Je me rangeais à cette explication, somme toute satisfaisante, parce qu'elle rendait à Marie sa dignité et sa valeur, et à son miraculeux lardon sa qualité de colis exceptionnel.
Une dernière question me hante. Pourquoi dit-on, lorsque une conversation s'éteint et que le silence se fait, pourquoi dit-on toujours qu'un ange passe ? Et s'il passe, pourquoi ne s'arrête-t-il jamais ?

dimanche 6 novembre 2011

Bêtes à Bon Dieu




Quand j'étais enfant, Sainte Agathe me collait la frousse, avec son plateau sur lequel ses deux seins étaient sagement posés. Deux jolis mamelons, comme deux îles flottantes, qu'elle semblait vouloir absolument à offrir au dessert, sans s'apercevoir de l'incongruité de son cadeau, se livrant sans honte aucune à un strip-tease extatique et morbide. Les pâtissiers, émus par son geste, ont décidé de l'honorer et de créer la recette de ses tétons tout ronds, petits gâteaux rebondis ponctués d'une cerise confite. Ainsi, chacun peut se souvenir de Sainte Agathe en se léchant les babines, et c'est plutôt une bonne nouvelle, la gourmandise soignant plus efficacement le moral que l'effroi. Agathe ayant décidé très tôt de se consacrer à Dieu, elle refusa fermement les avances d'un prétendant puissant et jaloux qui se vengea de son audace. Mise au cachot, elle ne céda pas, et resta fidèle à son maître divin, même après que le bourreau lui ait arraché ses saints nichons à la tenaille. Agathe est montée au Paradis, et ses deux seins arrachés qui l'avaient amplement mérité l'ont accompagnée, solidaires de son illustre destin de sanctifiée pour les siècles des siècles.

RECETTE DES TETONS DE SAINTE AGATHE
                                                  
Très saints seins
Pour 6 petits nichons :
3 oeufs
75g de farine
75g de sucre
1 citron
1 pointe de sel
150g de sucre glace
1 blanc d'oeuf
2 c.c de vinaigre blanc ou jus de citron                                
Cerises confites
   


Râpez le zeste de citron et réservez. 
Tamisez la farine et réservez. 
Cassez les oeufs dans un saladier, fouettez avec le sucre. 
Placez le saladier dans un bain marie pour obtenir un mélange mousseux. 
Incorporez la farine petit à petit avec une cuillère en bois. Rajoutez les zestes du citron.
 Préchauffez le four à 180° ou th. 6. 
Répartissez la préparation dans des petits moules ronds et laissez cuire 15 mn.
Démoulez et laissez refroidir. 
Pendant la cuisson, préparez le glaçage. Mélangez à la cuillère en bois le sucre glace, le blanc d'oeuf, 
le vinaigre ou le jus de citron. 
Piquez les tétons d'une pointe de couteau placée en biais ( l'horreur continue )
et trempez les dans le glaçage. 
Déposez les sur une grille recouverte de papier cuisson,
posez une jolie cerise confite sur le dessus, et laissez durcir !!!!.

Blandine et les lions. Version expurgée.

J'avais un livre d'histoire à l'école qui racontait les persécutions subies par les premiers chrétiens, et qui citait comme exemple édifiant le martyre de Sainte Blandine. Ma mémoire conserve intacte les détails de cette terrifiante illustration du combat spirituel de cette jeune donzelle pure et très vaillante. Parce qu'elle s'entêtait, et ne voulait pas renoncer à sa foi, la douce Blandine fut livrée aux lions dans l'arène. Alors que les autres croyants jetés aux fauves étaient dévorés tout crus, elle fut épargnée ( cela s'appelle un miracle ! ) et les bêtes féroces s'assirent à ses pieds mignons, sur lesquels la poussière et le sang de ses compagnons d'infortune glissaient sans laisser de sinistres macules. Une image du livre montrait Blandine, drapée dans une longue robe blanche aux plis impeccables, les lions soumis bien sagement assis. Tout autour dans l'arène, des paquets sanglants figuraient les restes des chrétiens déchiquetés, petits tas informes qui me submergeaient de dégoût. Animée d'un fol espoir, je regardais Blandine, qui étrangement levait les yeux au ciel, comme si tout ce cirque l'ennuyait prodigieusement ! Fut-ce pour la punir de son manque d'intérêt affiché ( il est vrai que dans sa situation, elle devait se montrer davantage concernée ) mais Marc-Aurèle, empereur à l'époque, plutôt blasé question miracle, refusa de reconnaître ses talents de dompteuse. Alors que je la croyais sauvée, la pôvrette fut flagellée, rôtie sur un grill rougi au feu, imaginant l'aspect que la malheureuse pouvait bien présenter après un tel mode de cuisson, mon coeur se soulève, mais rien n'y fit. Elle persistait à vouloir rester en vie. Je t'en supplie, Blandine, accepte de mourir, je n'ai que 7 ans, tu ne peux pas continuer comme ça à m'infliger ton calvaire. Pour finir, entortillée dans un filet, elle fut jetée entre les cornes d'un taureau furieux qui eut ( enfin ! ) raison d'elle. C'est exceptionnel comme façon de mourir, et je reste confondue par la créativité des tortionnaires de son temps. Après un tel traitement de faveur, elle eut le droit d'aller au Paradis, où Dieu l'attendait sans impatience malgré le temps qu'il lui avait fallu pour le rejoindre ( et dans quel état elle arriva ! Est-ce qu'elle est restée comme ça pour l'éternité, carbonisée et sanguinolente, éclaboussant de vermillon la blancheur du Paradis, la ouate des nuages et les robes immaculées des anges ? ).
Pour aller au Paradis, il faut faire des choses invraisemblables, lécher les plaies des lépreux, garder un corps intact et sentir bon longtemps après la mort ( valable uniquement pour ceux et celles qui n'ont subi que des tortures intérieures ), se faire écorcher, découper en rondelles, frire, percer de flèches, et comme Sainte Catherine décapiter au sabre. Une charmante comptine raconte son histoire exemplaire.

Catherine était la fille, la zim boum boum, 
Catherine était la fille, la fille d'un méchant roi, voilà, voilààààààààà, 
Catherine était la fille, la fiiiiiiiiiiiiiiiille d'un méchant roi.

Catherine désobéit à son père, qui lui interdisait de prier. Je ne sais pas comment elle avait pu se mettre dans une situation pareille, mais il la surprit agenouillée au pied de la croix. Absorbée dans sa pieuse méditation, je suppose, elle ne l'entendit pas arriver, elle avait oublié de fermer la porte de sa chambre à clef, encore une téméraire qui devait gagner son Paradis, et qui mettait les bouchées doubles. Le père, possédé d'une ire royale, décida de la tuer sur le champ. Mais il n'était pas très doué pour les châtiments expéditifs, et dut s'y reprendre à trois fois. La première fois il la manqua, la deuxième il la blessa, et la troisième, la zim boum boum, la tête lui trancha. Avec un sabre, un coutelas gla gla ou une hache, les versions diffèrent. Tout ça sur un rythme joyeux et alerte ( endiablé ne saurait convenir à cette pieuse ritournelle ), pour enchanter les enfants innocents et les encourager dans la foi. Catherine Zim boum boum a aussi sa pâtisserie, qui célèbre davantage les marchés agricoles organisés au moment de sa fête, qu'un détail particulier de sa biographie : un petit cochon en pain d'épice, recouvert de chocolat, et qui arbore fièrement, planté dans son derrière, un petit sifflet en buis !
Moi, la couronne d'épines enfoncée sur le front du Christ, la lance plantée dans son flanc qui palpite, les crucifiés du Golgotha, dressés sur le ciel noir et menaçant, l'éponge de fiel, son sang qui ruisselle et Dieu son père qui l'abandonne au pire moment de sa vie, tout ça m'arrachait des sanglots. Je ne voulais pas que le Christ ait enduré tout ça pour moi, je me sentais coupable et affreusement triste, je n'avais pas envie de boire son sang par dessus le marché, ni me repaître de son corps à chaque messe. Et quand il ouvrait sa chasuble pour exhiber son énorme coeur rouge qui devait faire un boucan d'enfer, je ne pouvais pas le supporter. Quand on a essayé de me récupérer en me parlant d'amour, de compassion, de joie entre les joies, j'ai été incapable d'y croire. Rien n'a pu me consoler, ni me rassurer, dans ce monde effrayant où les anges entrent sans frapper parce qu'ils ont des choses graves à annoncer, où les buissons s'enflamment sans crier gare, où les amis trahissent dans un baiser, où de pauvres paysannes qui ont assez de soucis comme ça, se mettent à saigner des mains et des pieds, handicap majeur pour continuer à travailler dans les champs et nourrir une famille nombreuse qui crie famine. Pour aller au Paradis, il faut d'abord vivre l'enfer. Et en mourir.
Pour arriver à avaler ça, je devrais inventer une recette de gâteau, un enfer au chocolat noir, dégoulinant de coulis de fruits rouges, fourré d'amandes effilées comme des lames de rasoir, surmonté d'un paradis moelleux et fondant, nimbé d'un nuage de crème Chantilly, lumineux et pur.

samedi 22 octobre 2011

Mille et une perles d'Orient

Odalisque. Jean Joseph Benjamin Constant.
J'ai pris des vacances loin du famous blog, et me voilà de retour, avec des trésors dans ma besace. Si je la renverse sur le tapis, roulent à mes pieds des cascades de pierres précieuses. Comme l'exposition à la Vieille Charité à Marseille, exploration dans la fraîcheur apaisante des pierres, de l'engouement du XIXe siècle pour l'Orient et ses mystères. La douce lumière des salles d'exposition offre une intimité particulière qui invite à cette rêverie au harem, alanguie sur un sofa, enfiévrée dans les volutes cotonneuses du kif, le murmure d'un jet d'eau dans une vasque turquoise, un plateau de cuivre chargé de fruits et de pâtisseries. La torpeur apparente ne saurait nous détourner des promesses d'intenses étreintes appelées par ces corps renversés, offerts, provocants. Dans la blancheur éblouissante du désert nu, hors des murs tapissés de mosaïques arithmétiques, les hommes chassent le tigre, mènent des assauts furieux, les chevaux ont les yeux fous, les sabots battent l'air, le fauve mord les jarrets de la monture cabrée. Le XIXe siècle rêve un Orient chatoyant, romantique, les femmes coulent des heures oisives, préoccupées uniquement de leur parure et de leur corps charnu, parfumé et appétissant comme un loukoum, espérant sans impatience la venue du Maître de maison, enturbanné et fier, qui saura les honorer avec fougue et audace, jusqu'au lever du soleil, là-bas, sur les dunes. Aujourd'hui, impossible d'oublier la condition d'esclave recluse des odalisques, dont la survie dépendait de leur soumission et leur attrait, de la fraîcheur de leurs charmes.

Almina Wertheimer. John Singer Sargent 1908

Le fantasme est si puissant, la nostalgie si tenace, que les riches occidentales succombent à la mode exotique, et jouent les Schéhérazade de salon. Pourtant Almina, héritière de très bonne famille, échappe au ridicule grâce au pinceau du peintre, libre et sensuel dans les plis soyeux de la robe, jusque dans les franges des adorables pompons qui bordent les manches du vêtement, livrant un portrait joyeux et charmant d'une jeune femme dont la beauté radieuse déjoue l'accoutrement théâtral.

Tous les peintres ne sont pas tombés dans la fascination facile d'un Orient d'opérette, paradis perdu de plaisirs enivrants nimbés de musc, dans un décor surchargé, où la profusion de motifs et de drapés ne sert que la démonstration trop appuyée de leur virtuosité dans le rendu de la matière. D'autres artistes ont préféré s'attacher à l'âpreté plus réaliste du désert, aux tempêtes tournoyantes et soudaines des vents de sable. Mais la vision de la nature indomptable reste romantique, et le souci réaliste confine parfois à une drôlerie inattendue, tant le détail se veut expressif. Les chameaux de la caravane aveuglés par le simoun, peints par Ludwig Hans Fischer, sont irrésistibles, et j'en ai croqué un rapidement, qui désamorce totalement la volonté dramatique du tableau.


J'ai goûté les oeuvres plus tardives, inspirées par les missions ethnographiques qui se développèrent au cours du XIXe siècle, et qui ont nourri une volonté de transmettre une vision plus respectueuse de la réalité de l'Orient. Les bronzes naturalistes de Charles Cordier sont infiniment touchants, dans ce parti-pris de l'artiste de rendre sa dignité et sa beauté à l'être humain, débarrassé du fatras de l'ornement et de la mise en scène de pacotille. J'ai aimé terminer mon voyage en Orient avec une oeuvre de Paul Klee, un dessin épuré et calme sur un support de gaze, qui laisse passer la lumière et la légèreté d'une architecture dépouillée à l'extrême.


Encore toute imprégnée de splendeur orientale, j'ai fait quelques jours plus tard une rencontre étonnante. Dans la vitrine d'un institut de beauté pour animaux de compagnie, un caniche pomponné prend la pose. Comme une odalisque, victime résignée soumise au caprice délirant de sa maîtresse, groupie de Paris Hilton, ou de la poupée Barbie, toutes deux adeptes du rose, utilisé comme arme de destruction massive.
La providence est décidément synchrone, et s'amuse à me faire de l'oeil. J'ai redécouvert dans ma boîte à couture, une plaquette en carton avec des boutons, échappée d'un rêve d'orient de plastique et toc, dérisoire et touchant.