La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

mercredi 27 octobre 2010

Lady Jane



Jane Goodall est anglaise, et je trouve qu' elle porte un nom merveilleux. Jane Goodall est membre d'honneur de mon firmament de bonnes étoiles qui m'éclairent et me réchauffent, et me montrent la voie de l'humanité.
Le 14 juillet 1960, Jane, blondinette culottée et enthousiaste âgée de 23 ans, débarque en ce jour de fête sur la rive orientale du lac Tanganika, dans une petite réserve coloniale britannique, Gombe Stream. Dans le numéro du National Geographic du mois d'octobre, l'article qui lui est consacré décrit les conditions de son arrivée. Elle apporte une tente, quelques carnets de croquis, une tasse sans son anse. Un cuisinier africain nommé Dominic l'accompagne et comme ange gardien...  sa mère, dont j'ignore le prénom. Jane n'a aucun diplôme et son expérience scientifique se résume à quelques mois consacrés à assister, au Kenya, le paléontologue Louis Leakey, qui étudie les moeurs des chimpanzés pour mieux comprendre celles des hommes préhistoriques. Cette courte expérience suffit pourtant à prouver sa passion, son sens aigu de l'observation, et son opiniâtreté à son mentor. Convaincu de ses compétences, il la charge, comme une grande, de la responsabilité d'une mission en Tanzanie.
Jane est à peine arrivée, la voilà qui remarque dans un arbre un amas de branchages, qu'elle identifie comme un nid de chimpanzés. Cette première observation inaugure les 50 années qui vont suivre, consacrées à l'étude et la protection des grands singes sur le site de Gombe.
Il lui faudra beaucoup de courage, d'obstination, de patience... des kilomètres sans fin parcourus dans la forêt à la recherche de la piste perdue, des retours bredouilles, des attentes déçues, des mauvaises fièvres. Jusqu'à sa première rencontre avec un vieux mâle, moment magique. Il s'approche pour créer le contact, dans un élan de confiance. Jane observe qu'il porte une barbiche grisonnante, et le baptise aussitôt. Une longue amitié vient de naître entre David Greybeard, patriarche entreprenant, et Jane, jeunette peu farouche. Il lui faudra aussi inventer une méthodologie, repérer les signes distinctifs de chaque chimpanzé pour pouvoir l'identifier, poser un ensemble de protocoles et de règles éthiques. Il lui faudra combattre et affirmer son originalité et sa conviction, née de ses investigations rigoureuses, que chaque animal possède sa personnalité propre, face aux critiques des scientifiques qui réprouvent son anthropomorphisme. Il lui faudra quitter son cher Gombe pour étudier à Cambridge, et obtenir son doctorat en éthologie en 1966 ( elle est l'une des rares personnes autorisées à présenter une thèse sans avoir obtenu de diplôme au préalable ).
Photo Nick Step CC
Ses premières découvertes bousculent d'emblée les idées reçues de l'époque. L'homme n'est plus le seul à savoir fabriquer des outils ! Le singe possède également cette capacité ( il effeuille des brindilles de longueurs différentes et les utilise comme sondes pour attraper les termites, il casse les noix entre deux pierres... ). Pour s'asseoir, il coupe les grandes feuilles d'une plante confortable. Il n'est pas uniquement végétarien, et se révèle aussi chasseur et carnivore. Il fait preuve de comportements sociaux élaborés, tisse des liens familiaux solides, est capable d'empathie, vit longtemps et reste fertile à un âge avancé. La définition de l'homme doit être repensée, le fossé qui le sépare de l'animal évalué de nouveau.
En 1971, son livre Les Chimpanzés et moi devient un best-seller. Elle écrit de nombreux articles, devient une héroïne de la télévision dans un documentaire à épisodes, fonde un centre de recherches qui accueille des étudiants et des chercheurs du monde entier. En 1977, pour lutter contre le braconnage, elle crée l'institut Jane Goodall d'études et de protection des primates. Avec un projet de plantations de nouveaux arbres, elle combat la déforestation et permet aux singes menacés de survivre et de se développer. Ses recherches, d'abord centrées sur l'étude du comportement animal, ont ouvert des possibilités inattendues grâce au développement de la génétique dans l'étude de certaines maladies chez l'homme, notamment le sida, car le virus du singe est précurseur du virus humain.


Photo Afrika Expeditionary Force CC
Sur les photographies, je suis frappée chaque fois par le charme qui émane d'elle et par sa distinction. Je crois que l'élégance de son coeur embaume toute sa personne.
Depuis 1986, Jane donne des conférences, rencontre des responsables gouvernementaux pour lever des fonds pour la recherche, lutte contre les traitements cruels infligés aux singes dans les laboratoires, ouvre des refuges pour les singes orphelins, crée des programmes éducatifs pour la jeunesse, s'engage pour la protection de la planète et propose des solutions concrètes de consommation responsable. Elle a reçu de nombreuses distinctions, et milite pour la paix comme messagère des Nations Unies. Lorsqu'elle se sent lasse, cette jeune fille de 74 ans retourne dans la forêt de Gombe et retrouve auprès de la grande famille des chimpanzés toute sa flamme et sa conviction.

mercredi 20 octobre 2010

Vieilles branches #2

Christian Bobin dit quelque part, et à peu prés ( je lui demande de bien vouloir pardonner ma mémoire défaillante ), que les arbres sont des personnes remarquables. Certains ne s'appellent-ils pas des hêtres ? Et puis, quand ils sont morts, les arbres sentent bon. Quelle élégance magnifique ! Dans le texte fondateur du Mahayana définitif, Le Sûtra du Lotus, une parabole décrit les bodhisattvas, venus en ce monde pour aider les êtres humains à sortir de leurs souffrances, comme de grands arbres.
Dans la forêt de Vérignon, prés d'Aups, en Provence, les chênes blancs sont en majesté, et naturellement vous inspirent noblesse et sérénité, ils vous contaminent en douceur. Leur nombre ( une foule silencieuse ), leur âge ( plusieurs centaines d'années ), leur taille ( parfois 7 m de diamètre ) forcent l'admiration et le respect. En compagnie de ces vénérables sujets, j'ai eu d'abord le sentiment d'être agitée, confuse, ma condition d'être humain ordinaire devenait soudain incongrue et dérangeait une harmonie solennelle. J'étais presque gênée, et je m'excusais de mon indélicatesse. Je devais les rencontrer, respirer au même rythme. Alors j'ai marché, silencieuse, concentrée, humble, parfois posant ma main, ou ma joue, délicatement, contre un tronc puissant. Un silence profond enveloppait la forêt, qui peu à peu s'est imposé à moi. Avec le silence, l'apaisement a gagné mon coeur, et recueillie, dans une embrassade consentie par l'arbre sollicité, j'ai reçu la force et l'équilibre qui me faisaient défaut à mon arrivée. Je n'étais plus désaccordée. Je suis rentrée dans l'arbre comme dans un livre. Ils sont de la même famille et aspirent à être déchiffrés.
Les arbres sont silencieux, mais au  coeur même du
silence, à condition de les rejoindre, ils communiquent leur sagesse.
Je n'allais pas revenir indemne de ma rencontre avec le peuple des chênes anciens, j'étais comme révélée à moi-même.
La mousse habillait les branches noueuses. Des arbres de velours torturés et soyeux, bossus et somptueux, difformes et généreux. J'étais en noble compagnie, entourée de mémoires vivantes et muettes, de morts restés debout, et habités d'oiseaux, de colonies d'insectes et d'écureuils, de branches tombées, en épousailles avec la terre, de souches fossiles, abris providentiels de créatures discrètes.



Les arbres, une fois encore, m'ont fait le don de mon humanité, m'ont permis de redécouvrir ma propre énergie de vivre.

Vieilles branches #1

Le pin devant la fenêtre de ma chambre a été taillé. Ses branches basses, lourdes de bouquets drus d'aiguilles vivaces, ployaient jusqu'au sol ( ah ! la saveur acide des pointes vertes écrasées sous la dent ). Le voilà métamorphosé, soudain plus altier. Le tronc massif est dégagé, et cette mise à nu salutaire dévoile la saignée des branches maîtresses. C'est émouvant, et... oui, érotique, la naissance offerte de la ramure, comme le pli de l'aine, ou le creux de l'aisselle.
Je nourris pour cette arbre une tendresse particulière. Comme il se dresse devant ma fenêtre, j'ai le sentiment qu'il veille sur moi, géant attentif et muet. Sa présence magnétique ne m'encombre jamais. Nous sommes entrés en conversation. Ses aiguilles sont si touffues qu'elles ondulent, et enflent, comme une houle frémissante, une palpitation vivante. Certaines personnes communiquent profondément avec les arbres, elles prétendent qu'ils ont chacun leur identité et qu'ils portent un nom différent. Les arbres acceptent parfois de le révéler, si on sait comment le leur demander, ou plutôt si notre évolution spirituelle nous donne accès à cette connaissance. Il semblerait que les arbres décident si nous sommes prêts, selon des critères mystérieux. Je ne sais pas juger la qualité de mon éveil personnel, mais mon enthousiasme m'a toujours poussée à tenter l'aventure, et mon intuition à aller chercher plus profond au-delà de la surface des choses. Je tiens à demeurer un coeur qui cherche. C'est aussi simplement dotée, avec en prime une bonne dose de maladresse chronique, que les arbres n'ont à l'évidence pas retenue contre moi pour m'exclure de l'expérience, que j'ai vécu à maintes reprises une histoire accessible à la majorité d'entre nous. Il suffit de prendre un arbre dans ses bras, et si l'on est un peu attentif, on entend quel arbre nous appelle. Son arbre tenu embrassé, il faut poser sa joue contre l'écorce, et entrer en communion. Moi,  j'ai le sentiment chaque fois de prendre la mer. Quelque chose dans ma poitrine se dilate et s'ouvre grand sur l'infini. Je l'affirme, aucun de mes chagrins n'a résisté à cette étreinte. L'arbre contacté l'absorbe, la dissout, et avec une profonde bienveillance transfuse son énergie. Combien de fois me suis-je détachée de mon pin élu consolée et rassérénée, emplie de gratitude?
Je m'imagine que mes désarrois sont autant de bouquets d'aiguilles dressés victorieux vers le ciel et de chatons fleuris gorgés de pollen fécond. Voilà mes peines éparpillées aux quatre vents, et mes désespoirs, portés par les graines ailées transparentes et légères, devenues semences de pousses prometteuses.
Depuis plusieurs jours déjà, le pin du jardin attend l'arrivée des étourneaux qui viendront nicher. Je partage cette attente avec lui, même si je n'ai pas pour vocation de me transformer en perchoir.  Et pourtant... L'arbre m'enseigne que devenir soi-même une branche solide, permettre à de drôles d'oiseaux de se poser, ou de s'envoler, est un destin très honorable.