La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

dimanche 26 septembre 2010

Colosses éthérés


Deux architectes américains, monsieur Choi et son associé monsieur Shine, ont conçu un projet de pylônes électriques à forme humaine pour transporter à bout de bras le courant électrique et allumer l'Islande. Ces titans de 45m de hauteur sont mâles et femelles, et je trouve que c'est une touchante attention d 'introduire de la féminité dans un univers aussi hautement technique, la plupart du temps, l'apanage du génie et de la maîtrise masculins. La structure  " eiffelienne " des personnages, une dentelle d'acier, les rend élégants et aériens. Presque immatériels dans le paysage volcanique nu et pétrifié, les malabars subtils et leurs arachnéennes compagnes, tissent leurs fils, se dressent, se penchent, s'agenouillent, grimpent, pour épouser le relief, l'accompagner, et non pas le défigurer. Puissantes, hiératiques, dignes, ces structures monumentales ont reçu le prix de la Boston Society of Architects. Je ne connais pas cette confrérie de professionnels tous certainement éminents et avertis, mais je leur exprime toute ma gratitude pour leur discernement. Le gouvernement islandais n'a pas retenu le projet, moi je l'adopte ! Avec un espoir fou, que d'autres pays récupèrent la terre des Géants et lui offrent la place qu'elle mérite, et que ce type de proposition en inspire d'autres.

samedi 25 septembre 2010

L'Italien monumental

Je suis allée voir une exposition qui m'a subjuguée, un choix de tableaux, des petits formats, trente, quarante centimètres le plus souvent, peints par Giorgio Morandi -1890-1964 - et proposés a l'Hôtel des Arts de Toulon. Quelques objets minimalistes, souvent les mêmes, un petit bol blanc, une carafe rondelette à long col, une boîte, un linge roulé en boule, sont simplement posés serrés les uns contre les autres, et les uns devant les autres, imbriqués. Il se dégage de ces compositions denses, de ces blocs compacts équilibrés et sages, une émotion intense. Le dénuement des objets, Morandi les utilisa toute sa vie, le décor réduit à sa plus simple expression, la surface offerte de la table, le fond nu, et l'espace qui respire, la palette humble, les gris colorés, transparents, légers comme un souffle, les ombres fines, ciselées... Un tel dépouillement pourrait sembler austère, guindé. Au contraire, la lumière est douce et caressante, la matière onctueuse. La même suite d'objets maintes fois reprise pourrait lasser. Il n'en est rien. L'intégrité et la rigueur de la démarche imposent le respect. Je suis restée captive de la présence énigmatique, hallucinatoire, de ces petits formats offerts comme des espaces de méditation. Le col de la petite carafe ventrue s'étire, entraînant vers le haut toute la composition, et en même temps, mon âme qui s'élève.
Nature morte 1963 ( 22 x 30, 5  cm )
Il y a une petite toile que j'adore... une sorte de boîte cylindrique ouverte, un peu pataude, blanche, et juste devant, la fameuse carafe ronde, noire, qui tend le cou avec élégance, et s'arrête au bord de l'ouverture de la boîte, un équilibre délicat, comme une respiration suspendue. Adossée contre la carafe, une moitié de coquille de noix. Trois objets, humblement juxtaposés en ordre de taille croissant, nous aspirent vers le haut, mais aussi vers le fond du tableau. Les ombres marquées affirment leur présence. Ils sont pourtant débarrassés du superflu, comme nettoyés, dégraissés, rendus à l'essentiel, leur structure nue. Le fond badigeonné, rétréci autour de la composition, ouvre un espace d'une ampleur étonnante dans un format aussi petit. La coquille de noix tient debout, tout tient toujours debout chez Morandi, et renforce cet équilibre impeccable qui s'impose sans la moindre affectation. Le vide dans la coquille dessine un coeur. En montrant le coeur d'une noix, le peintre dévoile l'essence des choses. Dans un détail sans importance, nous accédons à la beauté du monde, à sa générosité. J'imagine quel combat il faut engager pour s'arracher à l'illusion, pour se détacher du superficiel et atteindre cette profondeur, cette capacité à voir au-delà de la surface des choses. Morandi est un mystique, un moine recueilli dans la peinture comme dans un voyage intérieur.

jeudi 23 septembre 2010

Nuit câline

Autour de l'observatoire astronomique de Rocbaron, en Provence, le ciel est protégé. Une réserve de ciel étoilé est une mesure prise pour réduire la pollution lumineuse et ses effets néfastes. Il existe déjà des réserves de ce type aux Etats-Unis, en Italie, au Canada et elles sont amenées à se multiplier dans le monde. Les communes et les villes comprises dans le périmètre de protection s'engagent à modifier leur éclairage, à supprimer toute source agressive, enseignes, projecteurs, lasers, à éteindre la lumière là où elle n'est pas indispensable. Et vive les petits coins sombres cachottiers et propices ! Les amoureux vont pouvoir jouer à cache-cache, et les espèces lucifuges vont retrouver un peu de sérénité. Il ne s'agit pas de petits démons échappés de vieux grimoires, mais de tous les insectes, de certains oiseaux, de serpents et autres mammifères qui ont besoin de l'obscurité pour se protéger des prédateurs, se reproduire, effectuer leurs migrations. Même les plantes sont abusées par ce jour trompeur qui n'en finit pas, et leur floraison devient anarchique. Et moi, c'est une aparté toute personnelle, je ne supporte plus ces escadrilles de papillons kamikaze qui se suicident en grésillant chaque été. Voici venir le règne de l'abat-jour ! Il dirige consciencieusement la lumière vers le bas, il évite aux étoiles d'être éblouies et nous incite à lever le nez pour nous réapproprier la voûte céleste clignotante. Il rend la nuit familière et l'obscurité rassurante. Nous avons tous droit au ciel ! Nous avons tous besoin de cette immensité pour sentir l'infinité de notre coeur. Nous méritons tous les étoiles filantes qui transportent nos prières, nos voeux les plus chers, l'étoile polaire pour nous guider, nos bonnes étoiles pour nous sauver. Et aussi les constellations ! Parce que les chercher au dessus de nos têtes, en famille, avec nos amis, en amoureux, est un plaisir pris ensemble, un rituel magique partagé. Quand nous regardons les étoiles, elles nous contemplent aussi. Si nous prêtons attention, nous entendons dans le silence le ciel qui se dilate et respire.
Rendez le ciel étoilé aux rêveurs, aux poètes, aux astronomes du dimanche, aux amants béats, aux insomniaques, aux marins au long cours, aux étourdis, à tous les chats mistigris...  à tous ceux qui l'avaient perdue, noyée dans les éclats scélérats, rendez la nuit amie.

Epiphanie

Je me souviens de ce matin morose et glacé. Je marchais vite pour me réchauffer, et pour ébrouer un spleen têtu. Mon empressement, et ma retraite intérieure ont bien failli me faire manquer notre rendez-vous. Mais heureusement... pourtant retranchée du monde, tous mes sens n'étaient pas engourdis. Une obstination à rester éveillée, à capter les signes de vie, une tendance à me laisser ravir et transporter, me libéra sans doute de ma fascination narcissique. Et le charme du monde figea ma course éperdue. Je m'arrêtais, ensorcelée, devant la vitrine du pâtissier.
Oh non, ce n'était pas la vitrine d'apparat, celle réservée à la mise en scène des gâteaux et des chocolats, exposés sur des plateaux étincelants ouverts en éventails et offerts dans un écrin de satin cramoisi, qui retenait mon attention. C'était l'autre, celle qui jouait les seconds rôles, dans un registre humble et authentique... une couronne d'épis de blés et de coquelicots tressés, une faucille, icônes d'une histoire ancienne, chargées de provoquer la nostalgie du terroir perdu. Derrière le présentoir, un rideau opaque occultait toute l'ouverture, affirmant sèchement la volonté de ne rien révéler de plus. Cette vitrine donnait à voir sa relégation, sa destitution du rôle qu'elle aurait dû jouer. Elle montrait qu'elle avait tout à cacher, et un sentiment d'incongruité, de mystère, s'emparait de moi chaque fois que je passais devant cet espace clos, comme une boîte renfermant quelques reliques désuètes pour donner le change, le double fond voilant un contenu protégé et interdit. Mais ce matin là, le double fond s'était entrouvert, le monde de l'autre côté avait débordé. Un être s'en était échappé, les plis du rideau chahutés signalaient son passage.
Assis dans la vitrine, face à la rue, un chat. Sa queue refermée en virgule sur ses pattes ponctuant une posture attentive et parfaitement immobile, il me regardait. Hypnotisée par l'intensité tranquille de son regard, je restais là, en admiration. Les fines rayures régulières de son pelage évoquaient un bas de laine. Il était roux et blanc, sa blondeur mordorée réchauffait une neige immaculée. Du givre incendié, un poème d'automne au coeur de l'hiver. Je m'avançais tout prés, juste séparée de lui par la fine épaisseur de la vitrine. Si prés que je pus voir devant sa truffe, dessiné par la tiédeur de son souffle, un coeur embué sur la vitre, une tendre décalcomanie de son nez rose et humide. L'ingrate vitrine accueillait un miracle, et moi je le recevais comme un cadeau. J'ai communié avec cette perfection. Cette extase c'était, oui, comme une prière, une alliance avec la grâce.
Je sais depuis longtemps que prêter attention à la vie qui m'entoure est source de reconnaissance et d'éblouissement. Et de guérison. J'ai dû repartir, mais mon coeur débordait de gratitude. Cette allégresse, je l'éprouvais des jours durant. Aujourd'hui encore, il me suffit de raviver le souvenir du chat rayé, de sa respiration contre la vitre vaporisant un empreinte émouvante, pour me sentir à nouveau palpiter d'espérance. J'ai reçu de l'Univers une preuve d'amour, j'ai capté un signe de son infinie bienveillance. Dés que je me rappelle cette promesse, je suis comme galvanisée.
Depuis ce matin lumineux, je suis passée maintes fois devant la vitrine du pâtissier, mais je n'ai jamais revu le chat amoureux. Chaque fois, je ralentissais le pas, les battements de mon coeur s'emballaient, mais le rideau restait tiré, ses plis bien ordonnés célant de manière élégante et implacable le passage entre deux mondes.

mercredi 15 septembre 2010

Ange nippon

Tojimbo est un endroit sauvage, la côte déchiquetée domine la mer, des falaises majestueuses se dressent au-dessus de l'eau furieuse qui explose contre la roche... Ce paysage grandiose se trouve au Japon, à quelques 400 km au nord ouest de Tokyo. Très prisé des touristes, ils viennent nombreux goûter des sensations fortes, le vent qui fouette les visages, l'horizon immense, le vide qui s'ouvre presque sous leurs pieds, le vertige qui les saisit et fait battre leurs coeurs à tout rompre... D'autant plus enivrant qu'aucun garde-fou n'est prévu pour les protéger d'un à pic impitoyable. Une aubaine pour les désespérés, une provocation même, si l'on considère que les autorités municipales, soucieuses de satisfaire les touristes fascinés, se refusent à installer le moindre parapet de protection. Tojimbo reste une attraction pour les vacanciers, mais aussi pour les candidats au suicide. En 10 ans, 257 personnes sont venues se précipiter dans la mer. Ces statistiques macabres sont exploitées par les agences de tourisme qui vantent le frisson garanti sur le circuit maléfique. Et pour ceux qui souhaitent ramener un souvenir plein d'humour, ils peuvent s'offrir un tee-shirt imprimé : Je vis un enfer ou Je suis las de vivre sont les slogans les plus appréciés !
Vigie auréolée 
Révolté, un ancien policier à la retraite s'est mis en tête de sauver les malheureux qui veulent en finir. Yukio Shige arpente les falaises, par tous les temps, ses jumelles rivées sur les crêtes, pour repérer les silhouettes fragiles et exténuées de vivre. Il réussit à les approcher, les interpelle, hé ! attends une minute !  C'est devenu son surnom, monsieur attends une minute réussit à engager la conversation et parvient à détourner certains du plongeon fatal. Il a sauvé comme comme ça 175 personnes depuis 4 ans, fondé une ONG forte de 77 volontaires, dont certains suicidaires repentis, ouvert un café chaleureux pour accueillir ses rescapés et les restaurer. Il combat la dépression et le chagrin, le cynisme des professionnels du tourisme à sensation, le laxisme et l'indifférence des autorités. Il réconforte, il héberge, il contacte les proches, il accuse, il dénonce. Inlassablement. Avec lucidité et une santé, un équilibre imperturbables. Sans complaisance. Il continue simplement à faire son travail, celui d'un policier qui doit protéger la vie des gens. Même retraité, Yukio poursuit sa mission. Il est resté flic dans l'âme, mais 2 ailes ont poussé dans son dos. Et la nuit, une auréole s'allume au dessus de ses cheveux gris.

jeudi 9 septembre 2010

Rroms, les hommes vrais

Pendant longtemps, j'ai eu un peu honte... Je pensais que j'étais victime de la pire imagerie romantique concernant les gitans. J'étais comme beaucoup, partagée entre fascination et méfiance, une gadji, une non tsigane. J'imaginais les jupes fleuries bordées de volants, les bracelets en cascade, les chevelures sombres et les regards farouches, les guitares endiablées et les roulottes serrées autour du feu de camp... et par dessus tout, le mythe enivrant d'une vie vagabonde au sein du clan soudé et fier. J'ai découvert un jour le livre autobiographique de Jan Yoors, Tsiganes, et il m'a réconciliée avec mon imaginaire. Le souffle lyrique et romanesque de son récit entraînait le long des routes les figures qui peuplaient mes rêveries sentimentales. L'histoire de Jan, petit anversois d'une douzaine d'années entre les deux guerres, qui quitte ses parents pour suivre une tribu de Rom Lovara est fascinante. Adopté, il partage la vie de ces dresseurs de chevaux, princes du vent et des nuits étoilées, pendant toute une décennie. Dés le début, le mystère domine l'histoire, et ne sera pas élucidé. Quelles sont les raisons qui poussent ce gamin à abandonner son monde familier pour une existence incertaine, comment peut-il mener une double vie sans montrer de signe apparent de schizophrénie galopante, et comment ses parents, artistes et fantasques certes, ont ils accepté de le laisser partir vers l'inconnu ? Autant de questions sans réponses qui déroutent l'esprit rationnel mais ravissent l'âme éprise de merveilleux.
Auteur anonyme. Roumanie vers 1917

Sur les routes, tout au long du voyage, se rencontrent des communautés très structurées. Ces tribus vagabondent, refusent les règles des gadje, embrassent la marge et tutoient l'illégalité, sans pour autant vivre sans foi ni loi. Avec ce petit garçon aventureux, j'ai découvert leur langue mystérieuse, leur culture sans cesse mouvante au gré des mariages et des alliances, leur lumineuse sagesse trempée d'humour, leur malice pour se rendre insaisissables et rester libres, leur spiritualité teintée de magie, leur longue connivence avec la débrouille, la clandestinité et l'insoumission qui les a conduit pendant la guerre à rejoindre la résistance et collaborer avec les alliés.
Voyageuse allumée
Photo Tarnie CC
En ces temps troublés, où les vieilles peurs sont ranimées et appelées à la rescousse, où le bouc émissaire est désigné pour conjurer la crise qui s'installe et la révolte qui gronde, j'ai posé sur mon coeur ce livre comme un talisman. Je me dis que beaucoup de choses ont certainement changé dans la vie des Rroms, depuis l'époque dont Jan Yoors se souvient, et leur vie est sans doute bien éloignée de cet hymne âpre et puissant à la nature et à la liberté. Mais leur vulnérabilité demeure, entretenue par leur tempérament rebelle, têtu et fier. Nos lois ne les concernent pas, nos façons de vivre ne les attirent pas. Ils nous défient, nous provoquent, nous dérangent. Indomptables, ils deviennent indésirables, victimes expiatoires idéales de toutes nos frustrations.
Je ne peux m'empêcher de penser que notre gouvernement les utilise pour mettre en scène un exemple de fermeté, et jouer aux cow-boys et aux indiens. Et moi, dans cette Europe que j'ai rêvée solidaire, déployée comme un immense patchwork chatoyant de ces milliers de petits morceaux différents organisés et solidement cousus ensemble, je me sens dépossédée et trahie.