La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

vendredi 17 décembre 2010

Toulon, houppon pompette

Mon cœur chavire pour l'uniforme des marins. Je me souviens de mes années de lycée, à Toulon, et des escales de la flotte, les rues enfiévrées les soirs de goguette. Les façades du Pacha, du Hawaï et du Texas Bar s'allumaient d'étoiles de néon clignotantes. Des intérieurs tamisés s'échappaient de la musique, des rires et des appels, des filles charnues riaient sur le pas de la porte et soufflaient la fumée de leur cigarette la tête rejetée en arrière, leurs boucles d'oreilles étincelantes comme des miroirs aux alouettes. Des matelots éperdus les entraînaient dans l'obscurité, et leurs rires engloutis s'éloignaient. Je me souviens que la grâce de leur uniforme résistait à tous les désordres. La vareuse qui s'élargit dans le dos, avec le col plat qui se soulève comme une voile et prend le vent, les pantalons au bas évasé qui donnent une démarche chaloupée même sans tangage, le côté canaille et l'élégance subtilement réunis. Et le chapeau rond surmonté du fameux pompon ! Un pompon pour le commun des mortels, mais que les initiés appellent une houppette.
Les marins ont-ils si peur que le ciel leur tombe sur la tête qu'ils la protègent ainsi avec ce coussinet amortisseur ? Dans le meilleur des cas, ils signalent le sommet de leur crâne et le désignent comme un endroit sensible et défendu. Les oiseaux ne peuvent s'y poser, les cerf-volants sont empêchés d'atterrissage et toute chute d'objet anticipée. Idéal si le plafond est bas ! D'ailleurs la légende raconte qu'un marin trop prompt à se mettre au garde à vous, se heurta violemment la tête en voulant saluer  l'Impératrice Eugénie, en visite sur son navire. L'illustre cœur de la souveraine charitable en fut tout remué ! Elle posa elle même son joli mouchoir de fine baptiste ( brodé de ses impériales armoiries ) sur le crâne fendu du matelot estourbi. Il épongea le sang vermeil et le pompon rouge témoigne aujourd'hui de cet épisode historique.
Si leur calotte crânienne est protégée, elle est aussi convoitée. Depuis qu'il trône en altitude, exposé aux regards, le pompon est devenu le point de mire et subit d'audacieux assauts féminins, et s'il n'était déjà cramoisi, une telle insistance aurait de quoi le faire rougir de plaisir. Titiller de l'index gauche ce joli bouton turgescent à l'insu du marin qui le porte, est la garantie d'au moins 24 heures de chance insolente, voire la perspective d'un mariage heureux selon les cas, les avis diffèrent. Cependant, les spécialistes sont d'accord sur un point. Le pompon sollicité dans les règles de l'art ne remplit toutes ses promesses qu'à une seule condition : il se doit d'avoir accompli au moins un voyage en mer sur la tête de son propriétaire. Un peu d'expérience est donc requise. Il n'est pas précisé s'il s'agit du tour de la rade, ou du tour du monde, ainsi une grande majorité de pompons sont opérationnels et susceptibles d'apporter du bonheur. Mais si les demoiselles téméraires se font surprendre alors qu'elles tentent un toucher furtif, elles doivent donner un baiser au marin alerté par leur pressant doigté.
Pour être agréé par le Commissariat de la Marine Nationale, la houppette obéit à des règles strictes. Les spécimens dépenaillés, hirsutes, obèses ou rachitiques, de guingois ou branlants, montés en graine ou ratatinés, n'ont pas droit de cité. De la discipline que diable, et pas un poil de pure laine traitée antimite qui dépasse ! Un pompon houppette digne de ce nom est d'un beau rouge garance, mesure 25mm de hauteur, arbore fièrement un diamètre de 8cm et pèse 14, 1gr. Oui, virgule 1 gramme. Ce léger détail fait toute la différence, et distingue le pompon national d'une vulgaire copie qui aurait su singer les autres traits de son caractère.
Une telle précision exige des mains expertes. Des passementières chevronnées sont chargées de lisser les écheveaux de belle laine rouge et de nouer les pompons. Certaines ont la charge suprême d'égaliser les brins, et comme à une pelouse trop vivace, les tondeuses à pompons infligent la coupe réglementaire pour que le houppon pompette français, dru et rebondi comme il se doit, affirme son tempérament dans le respect du règlement. Repos !

samedi 13 novembre 2010

Célébration

Le jour de mon anniversaire est chaque fois l'occasion de célébrer ma propre vie, de fêter le chemin parcouru, et encouragée par Walt Whitman, d'entamer la piste ouverte, le pied sûr, le coeur léger. C'est le jour où je prends un peu de hauteur, non pas une attitude arrogante, mais plutôt une posture perchée qui favorise une vision large, embrassée. Une année arrive à son terme, que j'honore, et de nouvelles possibilités s'offrent à moi, que je salue. Dans le moment présent, je reconnais le passé et je m'engage dans l'avenir. C'est un jour de fête, je lui tends les bras, plus tard je le prendrais à bras le corps, et dans cette confrontation amoureuse, j'inventerais la vie.
Apprécier ne serait-ce qu'un petit effort, mesurer ne serait-ce qu'un petit pas, reconnaître le plus infime frémissement de vie caché au coeur des jours permet de prendre son élan vers le futur qui s'annonce. C'est le moment favorable pour une promesse. Je fais chaque fois le serment de franchir une montagne, une colline, un dos d'âne, de sauter par dessus une mer tumultueuse, une rivière, une flaque d'eau après la pluie, de m'élancer vers l'avant, de me hisser vers le haut. Je veux encourager ma tendance naturelle à devenir meilleure, épouser la vie. Je fais le serment de demeurer un coeur qui pense, et d'écrire à tue-tête, et de trouver au réveil le matin prometteur.
Yasushi Inoue dit qu'il faut aimer le mois de sa naissance comme son pays natal. Mon pays s'appelle Octobre, c'est là que je suis née, dans la flamboyance des feuilles embrasées, les mousses frisées gorgées de pluie, le parfum capiteux de la forêt, senteurs de champignons et d'humus mêlés, dans la lumière transparente troublée de brumes. Chaque jardinier, l'automne venu, se transforme en indien nouveau genre. Cet Iroquois des plate-bandes communique avec ses voisins à l'aide de signaux de fumée. D'épais panaches s'échappent des braseros qui consument branches et feuilles tombées, et libèrent un parfum de bois et de marron. L'air immobile attend d'être habité. En communion avec les arbres silencieux, il espère les oiseaux qui viendront le coloniser tout l'hiver. J'attends aussi, la pluie soudaine et drue, les bourrasques qui disloquent les persiennes, les étourneaux bavards. Je suis née avec les mandarines grenues coiffées de feuilles vivaces miraculeuses, les petites pommes tigrées, les noix secrètes. Avec la mer qui monte haut et les vagues qui entraînent le sable, laissant à chaque caresse sur la plage entamée, des verroteries polies, des bois lavés, des coquillages usés et aplatis, des trésors roulés, essorés, chahutés, rendus à une douceur émouvante, révélés. Octobre dévoile l'essence des choses, les squelettes des arbres laissent passer le paysage, le sable enfui sur la plage dénude les pierres de remblai et le béton, les volutes de fumée dessinent le ciel immense, la pluie efface les traces, rince les couleurs, rafraîchit les contours. Je partage l'automne, Octobre est ma saison intérieure.

mercredi 27 octobre 2010

Lady Jane



Jane Goodall est anglaise, et je trouve qu' elle porte un nom merveilleux. Jane Goodall est membre d'honneur de mon firmament de bonnes étoiles qui m'éclairent et me réchauffent, et me montrent la voie de l'humanité.
Le 14 juillet 1960, Jane, blondinette culottée et enthousiaste âgée de 23 ans, débarque en ce jour de fête sur la rive orientale du lac Tanganika, dans une petite réserve coloniale britannique, Gombe Stream. Dans le numéro du National Geographic du mois d'octobre, l'article qui lui est consacré décrit les conditions de son arrivée. Elle apporte une tente, quelques carnets de croquis, une tasse sans son anse. Un cuisinier africain nommé Dominic l'accompagne et comme ange gardien...  sa mère, dont j'ignore le prénom. Jane n'a aucun diplôme et son expérience scientifique se résume à quelques mois consacrés à assister, au Kenya, le paléontologue Louis Leakey, qui étudie les moeurs des chimpanzés pour mieux comprendre celles des hommes préhistoriques. Cette courte expérience suffit pourtant à prouver sa passion, son sens aigu de l'observation, et son opiniâtreté à son mentor. Convaincu de ses compétences, il la charge, comme une grande, de la responsabilité d'une mission en Tanzanie.
Jane est à peine arrivée, la voilà qui remarque dans un arbre un amas de branchages, qu'elle identifie comme un nid de chimpanzés. Cette première observation inaugure les 50 années qui vont suivre, consacrées à l'étude et la protection des grands singes sur le site de Gombe.
Il lui faudra beaucoup de courage, d'obstination, de patience... des kilomètres sans fin parcourus dans la forêt à la recherche de la piste perdue, des retours bredouilles, des attentes déçues, des mauvaises fièvres. Jusqu'à sa première rencontre avec un vieux mâle, moment magique. Il s'approche pour créer le contact, dans un élan de confiance. Jane observe qu'il porte une barbiche grisonnante, et le baptise aussitôt. Une longue amitié vient de naître entre David Greybeard, patriarche entreprenant, et Jane, jeunette peu farouche. Il lui faudra aussi inventer une méthodologie, repérer les signes distinctifs de chaque chimpanzé pour pouvoir l'identifier, poser un ensemble de protocoles et de règles éthiques. Il lui faudra combattre et affirmer son originalité et sa conviction, née de ses investigations rigoureuses, que chaque animal possède sa personnalité propre, face aux critiques des scientifiques qui réprouvent son anthropomorphisme. Il lui faudra quitter son cher Gombe pour étudier à Cambridge, et obtenir son doctorat en éthologie en 1966 ( elle est l'une des rares personnes autorisées à présenter une thèse sans avoir obtenu de diplôme au préalable ).
Photo Nick Step CC
Ses premières découvertes bousculent d'emblée les idées reçues de l'époque. L'homme n'est plus le seul à savoir fabriquer des outils ! Le singe possède également cette capacité ( il effeuille des brindilles de longueurs différentes et les utilise comme sondes pour attraper les termites, il casse les noix entre deux pierres... ). Pour s'asseoir, il coupe les grandes feuilles d'une plante confortable. Il n'est pas uniquement végétarien, et se révèle aussi chasseur et carnivore. Il fait preuve de comportements sociaux élaborés, tisse des liens familiaux solides, est capable d'empathie, vit longtemps et reste fertile à un âge avancé. La définition de l'homme doit être repensée, le fossé qui le sépare de l'animal évalué de nouveau.
En 1971, son livre Les Chimpanzés et moi devient un best-seller. Elle écrit de nombreux articles, devient une héroïne de la télévision dans un documentaire à épisodes, fonde un centre de recherches qui accueille des étudiants et des chercheurs du monde entier. En 1977, pour lutter contre le braconnage, elle crée l'institut Jane Goodall d'études et de protection des primates. Avec un projet de plantations de nouveaux arbres, elle combat la déforestation et permet aux singes menacés de survivre et de se développer. Ses recherches, d'abord centrées sur l'étude du comportement animal, ont ouvert des possibilités inattendues grâce au développement de la génétique dans l'étude de certaines maladies chez l'homme, notamment le sida, car le virus du singe est précurseur du virus humain.


Photo Afrika Expeditionary Force CC
Sur les photographies, je suis frappée chaque fois par le charme qui émane d'elle et par sa distinction. Je crois que l'élégance de son coeur embaume toute sa personne.
Depuis 1986, Jane donne des conférences, rencontre des responsables gouvernementaux pour lever des fonds pour la recherche, lutte contre les traitements cruels infligés aux singes dans les laboratoires, ouvre des refuges pour les singes orphelins, crée des programmes éducatifs pour la jeunesse, s'engage pour la protection de la planète et propose des solutions concrètes de consommation responsable. Elle a reçu de nombreuses distinctions, et milite pour la paix comme messagère des Nations Unies. Lorsqu'elle se sent lasse, cette jeune fille de 74 ans retourne dans la forêt de Gombe et retrouve auprès de la grande famille des chimpanzés toute sa flamme et sa conviction.

mercredi 20 octobre 2010

Vieilles branches #2

Christian Bobin dit quelque part, et à peu prés ( je lui demande de bien vouloir pardonner ma mémoire défaillante ), que les arbres sont des personnes remarquables. Certains ne s'appellent-ils pas des hêtres ? Et puis, quand ils sont morts, les arbres sentent bon. Quelle élégance magnifique ! Dans le texte fondateur du Mahayana définitif, Le Sûtra du Lotus, une parabole décrit les bodhisattvas, venus en ce monde pour aider les êtres humains à sortir de leurs souffrances, comme de grands arbres.
Dans la forêt de Vérignon, prés d'Aups, en Provence, les chênes blancs sont en majesté, et naturellement vous inspirent noblesse et sérénité, ils vous contaminent en douceur. Leur nombre ( une foule silencieuse ), leur âge ( plusieurs centaines d'années ), leur taille ( parfois 7 m de diamètre ) forcent l'admiration et le respect. En compagnie de ces vénérables sujets, j'ai eu d'abord le sentiment d'être agitée, confuse, ma condition d'être humain ordinaire devenait soudain incongrue et dérangeait une harmonie solennelle. J'étais presque gênée, et je m'excusais de mon indélicatesse. Je devais les rencontrer, respirer au même rythme. Alors j'ai marché, silencieuse, concentrée, humble, parfois posant ma main, ou ma joue, délicatement, contre un tronc puissant. Un silence profond enveloppait la forêt, qui peu à peu s'est imposé à moi. Avec le silence, l'apaisement a gagné mon coeur, et recueillie, dans une embrassade consentie par l'arbre sollicité, j'ai reçu la force et l'équilibre qui me faisaient défaut à mon arrivée. Je n'étais plus désaccordée. Je suis rentrée dans l'arbre comme dans un livre. Ils sont de la même famille et aspirent à être déchiffrés.
Les arbres sont silencieux, mais au  coeur même du
silence, à condition de les rejoindre, ils communiquent leur sagesse.
Je n'allais pas revenir indemne de ma rencontre avec le peuple des chênes anciens, j'étais comme révélée à moi-même.
La mousse habillait les branches noueuses. Des arbres de velours torturés et soyeux, bossus et somptueux, difformes et généreux. J'étais en noble compagnie, entourée de mémoires vivantes et muettes, de morts restés debout, et habités d'oiseaux, de colonies d'insectes et d'écureuils, de branches tombées, en épousailles avec la terre, de souches fossiles, abris providentiels de créatures discrètes.



Les arbres, une fois encore, m'ont fait le don de mon humanité, m'ont permis de redécouvrir ma propre énergie de vivre.

Vieilles branches #1

Le pin devant la fenêtre de ma chambre a été taillé. Ses branches basses, lourdes de bouquets drus d'aiguilles vivaces, ployaient jusqu'au sol ( ah ! la saveur acide des pointes vertes écrasées sous la dent ). Le voilà métamorphosé, soudain plus altier. Le tronc massif est dégagé, et cette mise à nu salutaire dévoile la saignée des branches maîtresses. C'est émouvant, et... oui, érotique, la naissance offerte de la ramure, comme le pli de l'aine, ou le creux de l'aisselle.
Je nourris pour cette arbre une tendresse particulière. Comme il se dresse devant ma fenêtre, j'ai le sentiment qu'il veille sur moi, géant attentif et muet. Sa présence magnétique ne m'encombre jamais. Nous sommes entrés en conversation. Ses aiguilles sont si touffues qu'elles ondulent, et enflent, comme une houle frémissante, une palpitation vivante. Certaines personnes communiquent profondément avec les arbres, elles prétendent qu'ils ont chacun leur identité et qu'ils portent un nom différent. Les arbres acceptent parfois de le révéler, si on sait comment le leur demander, ou plutôt si notre évolution spirituelle nous donne accès à cette connaissance. Il semblerait que les arbres décident si nous sommes prêts, selon des critères mystérieux. Je ne sais pas juger la qualité de mon éveil personnel, mais mon enthousiasme m'a toujours poussée à tenter l'aventure, et mon intuition à aller chercher plus profond au-delà de la surface des choses. Je tiens à demeurer un coeur qui cherche. C'est aussi simplement dotée, avec en prime une bonne dose de maladresse chronique, que les arbres n'ont à l'évidence pas retenue contre moi pour m'exclure de l'expérience, que j'ai vécu à maintes reprises une histoire accessible à la majorité d'entre nous. Il suffit de prendre un arbre dans ses bras, et si l'on est un peu attentif, on entend quel arbre nous appelle. Son arbre tenu embrassé, il faut poser sa joue contre l'écorce, et entrer en communion. Moi,  j'ai le sentiment chaque fois de prendre la mer. Quelque chose dans ma poitrine se dilate et s'ouvre grand sur l'infini. Je l'affirme, aucun de mes chagrins n'a résisté à cette étreinte. L'arbre contacté l'absorbe, la dissout, et avec une profonde bienveillance transfuse son énergie. Combien de fois me suis-je détachée de mon pin élu consolée et rassérénée, emplie de gratitude?
Je m'imagine que mes désarrois sont autant de bouquets d'aiguilles dressés victorieux vers le ciel et de chatons fleuris gorgés de pollen fécond. Voilà mes peines éparpillées aux quatre vents, et mes désespoirs, portés par les graines ailées transparentes et légères, devenues semences de pousses prometteuses.
Depuis plusieurs jours déjà, le pin du jardin attend l'arrivée des étourneaux qui viendront nicher. Je partage cette attente avec lui, même si je n'ai pas pour vocation de me transformer en perchoir.  Et pourtant... L'arbre m'enseigne que devenir soi-même une branche solide, permettre à de drôles d'oiseaux de se poser, ou de s'envoler, est un destin très honorable.

dimanche 26 septembre 2010

Colosses éthérés


Deux architectes américains, monsieur Choi et son associé monsieur Shine, ont conçu un projet de pylônes électriques à forme humaine pour transporter à bout de bras le courant électrique et allumer l'Islande. Ces titans de 45m de hauteur sont mâles et femelles, et je trouve que c'est une touchante attention d 'introduire de la féminité dans un univers aussi hautement technique, la plupart du temps, l'apanage du génie et de la maîtrise masculins. La structure  " eiffelienne " des personnages, une dentelle d'acier, les rend élégants et aériens. Presque immatériels dans le paysage volcanique nu et pétrifié, les malabars subtils et leurs arachnéennes compagnes, tissent leurs fils, se dressent, se penchent, s'agenouillent, grimpent, pour épouser le relief, l'accompagner, et non pas le défigurer. Puissantes, hiératiques, dignes, ces structures monumentales ont reçu le prix de la Boston Society of Architects. Je ne connais pas cette confrérie de professionnels tous certainement éminents et avertis, mais je leur exprime toute ma gratitude pour leur discernement. Le gouvernement islandais n'a pas retenu le projet, moi je l'adopte ! Avec un espoir fou, que d'autres pays récupèrent la terre des Géants et lui offrent la place qu'elle mérite, et que ce type de proposition en inspire d'autres.

samedi 25 septembre 2010

L'Italien monumental

Je suis allée voir une exposition qui m'a subjuguée, un choix de tableaux, des petits formats, trente, quarante centimètres le plus souvent, peints par Giorgio Morandi -1890-1964 - et proposés a l'Hôtel des Arts de Toulon. Quelques objets minimalistes, souvent les mêmes, un petit bol blanc, une carafe rondelette à long col, une boîte, un linge roulé en boule, sont simplement posés serrés les uns contre les autres, et les uns devant les autres, imbriqués. Il se dégage de ces compositions denses, de ces blocs compacts équilibrés et sages, une émotion intense. Le dénuement des objets, Morandi les utilisa toute sa vie, le décor réduit à sa plus simple expression, la surface offerte de la table, le fond nu, et l'espace qui respire, la palette humble, les gris colorés, transparents, légers comme un souffle, les ombres fines, ciselées... Un tel dépouillement pourrait sembler austère, guindé. Au contraire, la lumière est douce et caressante, la matière onctueuse. La même suite d'objets maintes fois reprise pourrait lasser. Il n'en est rien. L'intégrité et la rigueur de la démarche imposent le respect. Je suis restée captive de la présence énigmatique, hallucinatoire, de ces petits formats offerts comme des espaces de méditation. Le col de la petite carafe ventrue s'étire, entraînant vers le haut toute la composition, et en même temps, mon âme qui s'élève.
Nature morte 1963 ( 22 x 30, 5  cm )
Il y a une petite toile que j'adore... une sorte de boîte cylindrique ouverte, un peu pataude, blanche, et juste devant, la fameuse carafe ronde, noire, qui tend le cou avec élégance, et s'arrête au bord de l'ouverture de la boîte, un équilibre délicat, comme une respiration suspendue. Adossée contre la carafe, une moitié de coquille de noix. Trois objets, humblement juxtaposés en ordre de taille croissant, nous aspirent vers le haut, mais aussi vers le fond du tableau. Les ombres marquées affirment leur présence. Ils sont pourtant débarrassés du superflu, comme nettoyés, dégraissés, rendus à l'essentiel, leur structure nue. Le fond badigeonné, rétréci autour de la composition, ouvre un espace d'une ampleur étonnante dans un format aussi petit. La coquille de noix tient debout, tout tient toujours debout chez Morandi, et renforce cet équilibre impeccable qui s'impose sans la moindre affectation. Le vide dans la coquille dessine un coeur. En montrant le coeur d'une noix, le peintre dévoile l'essence des choses. Dans un détail sans importance, nous accédons à la beauté du monde, à sa générosité. J'imagine quel combat il faut engager pour s'arracher à l'illusion, pour se détacher du superficiel et atteindre cette profondeur, cette capacité à voir au-delà de la surface des choses. Morandi est un mystique, un moine recueilli dans la peinture comme dans un voyage intérieur.

jeudi 23 septembre 2010

Nuit câline

Autour de l'observatoire astronomique de Rocbaron, en Provence, le ciel est protégé. Une réserve de ciel étoilé est une mesure prise pour réduire la pollution lumineuse et ses effets néfastes. Il existe déjà des réserves de ce type aux Etats-Unis, en Italie, au Canada et elles sont amenées à se multiplier dans le monde. Les communes et les villes comprises dans le périmètre de protection s'engagent à modifier leur éclairage, à supprimer toute source agressive, enseignes, projecteurs, lasers, à éteindre la lumière là où elle n'est pas indispensable. Et vive les petits coins sombres cachottiers et propices ! Les amoureux vont pouvoir jouer à cache-cache, et les espèces lucifuges vont retrouver un peu de sérénité. Il ne s'agit pas de petits démons échappés de vieux grimoires, mais de tous les insectes, de certains oiseaux, de serpents et autres mammifères qui ont besoin de l'obscurité pour se protéger des prédateurs, se reproduire, effectuer leurs migrations. Même les plantes sont abusées par ce jour trompeur qui n'en finit pas, et leur floraison devient anarchique. Et moi, c'est une aparté toute personnelle, je ne supporte plus ces escadrilles de papillons kamikaze qui se suicident en grésillant chaque été. Voici venir le règne de l'abat-jour ! Il dirige consciencieusement la lumière vers le bas, il évite aux étoiles d'être éblouies et nous incite à lever le nez pour nous réapproprier la voûte céleste clignotante. Il rend la nuit familière et l'obscurité rassurante. Nous avons tous droit au ciel ! Nous avons tous besoin de cette immensité pour sentir l'infinité de notre coeur. Nous méritons tous les étoiles filantes qui transportent nos prières, nos voeux les plus chers, l'étoile polaire pour nous guider, nos bonnes étoiles pour nous sauver. Et aussi les constellations ! Parce que les chercher au dessus de nos têtes, en famille, avec nos amis, en amoureux, est un plaisir pris ensemble, un rituel magique partagé. Quand nous regardons les étoiles, elles nous contemplent aussi. Si nous prêtons attention, nous entendons dans le silence le ciel qui se dilate et respire.
Rendez le ciel étoilé aux rêveurs, aux poètes, aux astronomes du dimanche, aux amants béats, aux insomniaques, aux marins au long cours, aux étourdis, à tous les chats mistigris...  à tous ceux qui l'avaient perdue, noyée dans les éclats scélérats, rendez la nuit amie.

Epiphanie

Je me souviens de ce matin morose et glacé. Je marchais vite pour me réchauffer, et pour ébrouer un spleen têtu. Mon empressement, et ma retraite intérieure ont bien failli me faire manquer notre rendez-vous. Mais heureusement... pourtant retranchée du monde, tous mes sens n'étaient pas engourdis. Une obstination à rester éveillée, à capter les signes de vie, une tendance à me laisser ravir et transporter, me libéra sans doute de ma fascination narcissique. Et le charme du monde figea ma course éperdue. Je m'arrêtais, ensorcelée, devant la vitrine du pâtissier.
Oh non, ce n'était pas la vitrine d'apparat, celle réservée à la mise en scène des gâteaux et des chocolats, exposés sur des plateaux étincelants ouverts en éventails et offerts dans un écrin de satin cramoisi, qui retenait mon attention. C'était l'autre, celle qui jouait les seconds rôles, dans un registre humble et authentique... une couronne d'épis de blés et de coquelicots tressés, une faucille, icônes d'une histoire ancienne, chargées de provoquer la nostalgie du terroir perdu. Derrière le présentoir, un rideau opaque occultait toute l'ouverture, affirmant sèchement la volonté de ne rien révéler de plus. Cette vitrine donnait à voir sa relégation, sa destitution du rôle qu'elle aurait dû jouer. Elle montrait qu'elle avait tout à cacher, et un sentiment d'incongruité, de mystère, s'emparait de moi chaque fois que je passais devant cet espace clos, comme une boîte renfermant quelques reliques désuètes pour donner le change, le double fond voilant un contenu protégé et interdit. Mais ce matin là, le double fond s'était entrouvert, le monde de l'autre côté avait débordé. Un être s'en était échappé, les plis du rideau chahutés signalaient son passage.
Assis dans la vitrine, face à la rue, un chat. Sa queue refermée en virgule sur ses pattes ponctuant une posture attentive et parfaitement immobile, il me regardait. Hypnotisée par l'intensité tranquille de son regard, je restais là, en admiration. Les fines rayures régulières de son pelage évoquaient un bas de laine. Il était roux et blanc, sa blondeur mordorée réchauffait une neige immaculée. Du givre incendié, un poème d'automne au coeur de l'hiver. Je m'avançais tout prés, juste séparée de lui par la fine épaisseur de la vitrine. Si prés que je pus voir devant sa truffe, dessiné par la tiédeur de son souffle, un coeur embué sur la vitre, une tendre décalcomanie de son nez rose et humide. L'ingrate vitrine accueillait un miracle, et moi je le recevais comme un cadeau. J'ai communié avec cette perfection. Cette extase c'était, oui, comme une prière, une alliance avec la grâce.
Je sais depuis longtemps que prêter attention à la vie qui m'entoure est source de reconnaissance et d'éblouissement. Et de guérison. J'ai dû repartir, mais mon coeur débordait de gratitude. Cette allégresse, je l'éprouvais des jours durant. Aujourd'hui encore, il me suffit de raviver le souvenir du chat rayé, de sa respiration contre la vitre vaporisant un empreinte émouvante, pour me sentir à nouveau palpiter d'espérance. J'ai reçu de l'Univers une preuve d'amour, j'ai capté un signe de son infinie bienveillance. Dés que je me rappelle cette promesse, je suis comme galvanisée.
Depuis ce matin lumineux, je suis passée maintes fois devant la vitrine du pâtissier, mais je n'ai jamais revu le chat amoureux. Chaque fois, je ralentissais le pas, les battements de mon coeur s'emballaient, mais le rideau restait tiré, ses plis bien ordonnés célant de manière élégante et implacable le passage entre deux mondes.

mercredi 15 septembre 2010

Ange nippon

Tojimbo est un endroit sauvage, la côte déchiquetée domine la mer, des falaises majestueuses se dressent au-dessus de l'eau furieuse qui explose contre la roche... Ce paysage grandiose se trouve au Japon, à quelques 400 km au nord ouest de Tokyo. Très prisé des touristes, ils viennent nombreux goûter des sensations fortes, le vent qui fouette les visages, l'horizon immense, le vide qui s'ouvre presque sous leurs pieds, le vertige qui les saisit et fait battre leurs coeurs à tout rompre... D'autant plus enivrant qu'aucun garde-fou n'est prévu pour les protéger d'un à pic impitoyable. Une aubaine pour les désespérés, une provocation même, si l'on considère que les autorités municipales, soucieuses de satisfaire les touristes fascinés, se refusent à installer le moindre parapet de protection. Tojimbo reste une attraction pour les vacanciers, mais aussi pour les candidats au suicide. En 10 ans, 257 personnes sont venues se précipiter dans la mer. Ces statistiques macabres sont exploitées par les agences de tourisme qui vantent le frisson garanti sur le circuit maléfique. Et pour ceux qui souhaitent ramener un souvenir plein d'humour, ils peuvent s'offrir un tee-shirt imprimé : Je vis un enfer ou Je suis las de vivre sont les slogans les plus appréciés !
Vigie auréolée 
Révolté, un ancien policier à la retraite s'est mis en tête de sauver les malheureux qui veulent en finir. Yukio Shige arpente les falaises, par tous les temps, ses jumelles rivées sur les crêtes, pour repérer les silhouettes fragiles et exténuées de vivre. Il réussit à les approcher, les interpelle, hé ! attends une minute !  C'est devenu son surnom, monsieur attends une minute réussit à engager la conversation et parvient à détourner certains du plongeon fatal. Il a sauvé comme comme ça 175 personnes depuis 4 ans, fondé une ONG forte de 77 volontaires, dont certains suicidaires repentis, ouvert un café chaleureux pour accueillir ses rescapés et les restaurer. Il combat la dépression et le chagrin, le cynisme des professionnels du tourisme à sensation, le laxisme et l'indifférence des autorités. Il réconforte, il héberge, il contacte les proches, il accuse, il dénonce. Inlassablement. Avec lucidité et une santé, un équilibre imperturbables. Sans complaisance. Il continue simplement à faire son travail, celui d'un policier qui doit protéger la vie des gens. Même retraité, Yukio poursuit sa mission. Il est resté flic dans l'âme, mais 2 ailes ont poussé dans son dos. Et la nuit, une auréole s'allume au dessus de ses cheveux gris.

jeudi 9 septembre 2010

Rroms, les hommes vrais

Pendant longtemps, j'ai eu un peu honte... Je pensais que j'étais victime de la pire imagerie romantique concernant les gitans. J'étais comme beaucoup, partagée entre fascination et méfiance, une gadji, une non tsigane. J'imaginais les jupes fleuries bordées de volants, les bracelets en cascade, les chevelures sombres et les regards farouches, les guitares endiablées et les roulottes serrées autour du feu de camp... et par dessus tout, le mythe enivrant d'une vie vagabonde au sein du clan soudé et fier. J'ai découvert un jour le livre autobiographique de Jan Yoors, Tsiganes, et il m'a réconciliée avec mon imaginaire. Le souffle lyrique et romanesque de son récit entraînait le long des routes les figures qui peuplaient mes rêveries sentimentales. L'histoire de Jan, petit anversois d'une douzaine d'années entre les deux guerres, qui quitte ses parents pour suivre une tribu de Rom Lovara est fascinante. Adopté, il partage la vie de ces dresseurs de chevaux, princes du vent et des nuits étoilées, pendant toute une décennie. Dés le début, le mystère domine l'histoire, et ne sera pas élucidé. Quelles sont les raisons qui poussent ce gamin à abandonner son monde familier pour une existence incertaine, comment peut-il mener une double vie sans montrer de signe apparent de schizophrénie galopante, et comment ses parents, artistes et fantasques certes, ont ils accepté de le laisser partir vers l'inconnu ? Autant de questions sans réponses qui déroutent l'esprit rationnel mais ravissent l'âme éprise de merveilleux.
Auteur anonyme. Roumanie vers 1917

Sur les routes, tout au long du voyage, se rencontrent des communautés très structurées. Ces tribus vagabondent, refusent les règles des gadje, embrassent la marge et tutoient l'illégalité, sans pour autant vivre sans foi ni loi. Avec ce petit garçon aventureux, j'ai découvert leur langue mystérieuse, leur culture sans cesse mouvante au gré des mariages et des alliances, leur lumineuse sagesse trempée d'humour, leur malice pour se rendre insaisissables et rester libres, leur spiritualité teintée de magie, leur longue connivence avec la débrouille, la clandestinité et l'insoumission qui les a conduit pendant la guerre à rejoindre la résistance et collaborer avec les alliés.
Voyageuse allumée
Photo Tarnie CC
En ces temps troublés, où les vieilles peurs sont ranimées et appelées à la rescousse, où le bouc émissaire est désigné pour conjurer la crise qui s'installe et la révolte qui gronde, j'ai posé sur mon coeur ce livre comme un talisman. Je me dis que beaucoup de choses ont certainement changé dans la vie des Rroms, depuis l'époque dont Jan Yoors se souvient, et leur vie est sans doute bien éloignée de cet hymne âpre et puissant à la nature et à la liberté. Mais leur vulnérabilité demeure, entretenue par leur tempérament rebelle, têtu et fier. Nos lois ne les concernent pas, nos façons de vivre ne les attirent pas. Ils nous défient, nous provoquent, nous dérangent. Indomptables, ils deviennent indésirables, victimes expiatoires idéales de toutes nos frustrations.
Je ne peux m'empêcher de penser que notre gouvernement les utilise pour mettre en scène un exemple de fermeté, et jouer aux cow-boys et aux indiens. Et moi, dans cette Europe que j'ai rêvée solidaire, déployée comme un immense patchwork chatoyant de ces milliers de petits morceaux différents organisés et solidement cousus ensemble, je me sens dépossédée et trahie.

dimanche 29 août 2010

Happy Birthday, Dorothea !



  
" Mes nerfs sont peut-être enracinés dans la tragédie, mais leurs extrémités ont le fou-rire ! " Dorothea Tanning

Une grande dame,  Dorothea Tanning vient d'avoir 100 ans, le 25 août !
Je ne suis pas friande de surréalisme, je trouve ce mouvement artistique froid, pompeux, et surchargé d'un ésotérisme un peu ridicule, de tout un fatras fantastique emprunté aux divagations oniriques. Je critique et me moque pour me venger, je l'avoue. Car malgré mes efforts, je reste à la porte de ce monde et je ne peux en franchir le seuil. Quelque chose de pesant en émane, qui m'empêche d'être transportée. Je reste là, un peu stupide et vexée. Aussi je suis soulagée que Dorothea Tanning ait quitté le symbolisme sombre et inquiétant propre à ce mouvement, pour suivre sa voie et explorer joyeusement ses fantasmes érotiques de femme libre. J'adore ses formes organiques boursouflées, ses réminiscences de corps roses et potelés, son canapé mutant affublé d'une excroissance humaine. C'est drôle, impertinent, et audacieux. Elle est étonnante, Dorothea. Fatale, sophistiquée, fascinante, et malicieuse, coquine, deux tresses blondes encadrant ses joues rondes de fermière au pot au lait.
Indépendante, mystérieuse, d'une beauté sombre et rebelle, et dévouée, naturelle, juvénile. Mariée à un génie, elle partagea la vie de Max Ernst pendant une trentaine d'année ( c'est le joli titre, sans affèterie de son autobiographie " Une vie partagée " ) et fidèle à ses côtés, ne se tint jamais dans son ombre. Elle rayonnait de sa propre lumière.
Un humble hommage lui est rendu à Seillans, le village de Provence où elle vécut avec Max Ernst de 1964 à 1975. Un ensemble d'une trentaine d'estampes, pour la plupart destinées à illustrer des ouvrages d'écrivains surréalistes, qu'elle offrit au village qui avait organisé une exposition de son oeuvre gravée en 1996. Une petite exposition intimiste, comme un rendez-vous secret, un murmure tamisé par les volets croisés, dans cette maison de son ami Patrick Waldberg, critique et écrivain, premier biographe de Max Ernst.
Nue couchée. 1969
         
         
Happy Birthday, Dorothea !

lundi 16 août 2010

Mon dimanche so serious avec Elvis

Le King et la princesse
Je me suis lovée cette après-midi au creux de la voix moelleuse d'Elvis, toutes mes résistances  anéanties. Nous sommes le 16 août, c'est le jour qu'il a choisi pour tirer sa révérence, et partageant les hommages qui lui sont rendus, je me souviens... Et je m'enroule dans les paroles de Memories...
            Memories, pressed between the pages of my mind
           Memories, sweetened through the ages just like wine...
" Do you want serious ? " C'est la question posée par Elvis à une de ses fans qui le supplie de l'embrasser. Une fan intrépide, déterminée et amoureuse que le chiqué ne saurait satisfaire. Alors le King la renverse dans un baiser de cinéma pour de vrai.
Dans le show '68 comeback, vêtu de cuir noir, il irradie l'image de sa présence magnétique. Il est filmé si serré que je remarque la petite ride qui marque la racine de son nez. Il le fronce souvent, une petite attention de sa part pour vous annoncer l'inéluctable, et il vous carbonise ensuite avec un sourire façon napalm. Une goutte de sueur toute ronde, parfaite, zigzague lentement et se perd dans les poils brillants de sa rouflaquette king size. Là, dans cette petite goutte de sueur qui roule, Elvis est vivant.
Il est le seul à vous offrir un sourire dévastateur d'une gentillesse désarmante. C'est ça, Elvis. Un cocktail molotov d'un mélange détonnant. Torride, avec la sincérité d'un enfant incrédule. Lumineux, et portant le désespoir de promesses trahies. Gourmand, avide de trouver un sens à son existence et exténué par les questions sans réponse. Prodigue, entraîné par sa générosité qui comblait les autres et creusait un vide dans son coeur insatisfait. Adulé, et abandonné.
Fixé sur la pellicule, Elvis semble éternel, un miracle indestructible. Mais je sais l'avenir, et je voudrais tant ici ne pas le connaître. Au même moment incandescent, Elvis révèle son immense talent, sa beauté chavirante, et son extrême fragilité. Sous nos yeux éblouis, il s'impose, nous coupe le souffle, et doucement se brise déjà.
Sa voix a bouleversé le monde. A jamais. Mais lui, ça ne lui a pas suffit.
            Like golden autumn leaves around my feet
           I touched them and they burst apart with sweet memories
          Sweet memories...

samedi 7 août 2010

Oh ! le bel été

L'été c'est le temps des festivals. Il y en a pour tous les goûts. Lectures sous l'arbre est l'évènement, d'une simplicité confondante, qui soulève mon enthousiasme et emporte mon adhésion gourmande. Loin du vacarme qui écorche les oreilles et du bling bling qui blesse les yeux, on se retrouve sous le feuillage, bercé de mots. Quiétude. La ramure nous protège. On écoute. On partage la lecture,  on s'installe comme bon nous semble, sur une chaise longue, sur un plaid moelleux, un coussin fleuri, il y a de la musique jouée sur un piano, des écrivains, et des textes, forcément, un atelier de typographie, des repas pris ensemble, des fruits perlés de gouttes d'eau offerts dans une assiette blanche posée sur l'herbe, des rencontres, des balades. L'aventure se passe en Ardèche, c'est beau et c'est sauvage. Tout me plaît là dedans, je reconnais tout sans y avoir jamais participé.

samedi 31 juillet 2010

Album de famille. Extrait

 

Feuilleton


Un peuple nomade nous rend visite, et se promène en Camargue, glisse sur la Marne... Il a fait halte à Niort, et c'est maintenant près de la Garonne qu'il s'attarde. Vêtu de feuilles, ou bien est-il nu, poussé dans la forêt, né de l'humus au pied des arbres. Les observateurs ont remarqué qu'il arrivait au printemps, et sans tapage, sans hâte, il s'éparpille au fil des jours. Peu à peu, les habitants rencontrent ces personnages énigmatiques grimpés sur les réverbères, enjambant les balcons, perchés, pendus la tête en bas, sagement assis à l'ombre dans la ruelle, ces drôles de millefeuilles téméraires imitent les humains. Ces créature pacifiques, les Pheuillus, sont sorties tout droit de l'Usine de Tournefeuille, prés de Toulouse. La compagnie Le Phun, experte en mise-en-scènes végétales et potagères, a pour habitude de les lâcher dans la nature et dans la ville, laissant les habitants se débrouiller avec cette invasion paisible et silencieuse.

 A Lourde, un hameau de Haute Comminges de trente cinq âmes, les voilà plus nombreux que les habitants. Les grincheux sont rares ( au diable ces portefeuilles incongrus ! ), les enthousiastes plus nombreux ( donnez-moi mon Pheuillu, je veux mon Pheuillu ! ) qui les accueillent et les protègent, émus par ces doux de la feuille qui leur rappellent leur fragilité. Les écoliers de Lourde, et de Saint Pé ( c'est à côté ), ravis de la venue de ces nouveaux amis inattendus, ont adopté plusieurs petits Pheuillus dans leurs classes. La jolie fable se déroule ainsi depuis plusieurs mois et s'enrichit de chapitres imprévisibles. Quelle gracieuse façon de nous permettre de nous interroger sur notre sens de l'hospitalité, de questionner notre méfiance et nos préjugés, de sonder nos coeurs. Quelle épatante opportunité de s'élargir aux entournures, de s'enrichir de l'autre et d'offrir le meilleur de nous mêmes.

vendredi 30 juillet 2010

Sous les pins

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jeudi 29 juillet 2010

Hommage flottant

Danièle Gibrat. Archipel. 2010
Un tourne-disque
cerne l'écho
du tour de l'île,
enroule l'eau,
déroule l'air
de ma chanson.

Danièle Gibrat. Où es-tu ?

La robe froissée d'un spectre s'étale les bras en croix, un linceul diaphane griffé, une aube de communion prisonnière des glaces éternelles. Le fantôme s'est déshabillé.
Bien haut sur le ciel liquide, le point d'équilibre, suspendu. Une île flottante épinglée, cernée, sa longue chevelure de méduse roidie, pétrifiée dans les profondeurs. Sur le flotteur instable et dérisoire, un personnage pivot, les bras étendus pour ne pas tomber, enfile les manches du kimono tatoué. Tout seul, il semble un sémaphore... Ouh ouh ! Je suis là ! Tout seul, qui donne signe de vie. Mais moi, de mon île qui tangue, qui parfois plonge et remonte, je te vois. Et j'ouvre les bras.

Archipel
ton sourire dans l'eau,
et moi debout
au bord d'un songe.

Danièle Gibrat. Où es-tu ?

mardi 27 juillet 2010

Une déclaration et des promesses

Sentimentaaaaaaale !
J ' écris mon premier billet, et j'ai l'impression d'un rendez-vous amoureux tout neuf. Je suis intimidée, je me tortille, j'ai beaucoup trop chaud, et mon esprit si vif d'ordinaire est comme engourdi. Quel bonheur pourtant de ressentir une émotion telle que je sens mon coeur barbouillé qui chaloupe ( mais sans chavirer cependant, et je suis ravie de garder un peu de dignité ). D'une part, je revendique les sentiments qui m'habitent et chahutent ma belle assurance. C'est la moindre des choses et ce trouble honore ma première rencontre avec ce famous blog, chargé de porter mes espoirs, mes rêves, mes colères et mes engagements que j'ai parfois du mal à trimballer toute seule. C'est naturel, tout ça c'est du lourd qui colle aux semelles, mais je promets d'ajouter des ailes à mes valises, et de les lester d'humour et de tendresse chaque fois que cela sera possible. Parce que je kiffe les princesses drôles et gentilles, douées et pas chochottes, qui se la pètent dans le cambouis.
Et d'autre part, je considère les mouvements de mon coeur comme des cadeaux précieux en ce moment. Parce que ma vie est intense. Par exemple, je m'entraîne chaque jour pour être capable d'adopter une démarche élégante, à la fois dynamique et racée avec des tongs. Pied délié, qui caresse le sol avec légèreté, orteils souples pour retenir la chaussure épurée et délicate... Tout un art, comme la subtile maîtrise du bronzage, intense, vibrant. Même sous les bras. Des aisselles dorées et appétissantes, qui font comme un clin d'oeil coquin chaque fois que je lève les bras... le résultat n'est pas encore tout à fait celui que je recherche, mais si je persévère, la victoire est certaine. La tong souveraine et l'aisselle brunie, écrin soyeux qui protège quelques poils follets et lumineux, exigent une grande concentration et la nécessité d'endormir ses pensées comme d'anesthésier ses émotions. Un cerveau trop vigilant, trop curieux, un coeur sensible, sont les ennemis que l'on doit redouter si l'on veut atteindre les objectifs précis dont je viens de parler. Je suis disciplinée, mais j'avoue que mon silence intérieur me pèse, mon calme m' ennuie, mon absence de réflexion me désole. Aussi l'irruption d'une émotion au moment où j'inaugure cette forme d'expression nouvelle pour moi, je veux dire le famous blog, me rassure. Je n'ai pas totalement déserté, là, et je pose la main sur mon coeur, une petite flamme vacille encore. Je n'aurais jamais cru que cette humble flammèche, même pas un lumignon, me ravirait autant. Me voilà presque illuminée par une loupiotte de rien du tout.