La Princess' plus camion que carrosse qui préfère la fée Carabosse.

dimanche 19 avril 2015

Hetty Hillesum, le cœur pensant


J'ai une amie depuis très longtemps. Belle, intelligente, délurée, drôle et désespérée, nourrie d'espérance pour l'humanité, d'un courage inouï et fragile comme un cristal, et si vivante, si moderne, avec un talent fou d'écrivain. En lisant ses mots, la première fois, mon cœur s'est brisé en mille morceaux, mais chose étrange et magique, chaque petit morceau a bourgeonné et a repoussé avec plus de force. A chaque lecture, mon cœur était ragaillardi. Etty, si proche et si vive, toi qui a disparu, emportée dans la tourmente, rieuse et si lucide, d'une lucidité presque effrayante,  "d'une sincérité impitoyable," je t'ai choisie immédiatement.
Le samedi 8 mars 1941, à Amsterdam, une jeune femme commence à écrire son journal, pour tenter de démêler la "pelote agglutinée" de ses idées. Elle s'appelle Etty (Esther) Hillesum, elle est juive, hollandaise, et confie son aventure personnelle liée à la tragédie de l'Histoire, aux pages de cahiers d'écolier.
Au fil des jours, elle remplira onze cahiers, qu'elle confie à une amie le 5 juin 1943, avant de partir volontairement pour le camp de Westerbork, où l'occupant nazi regroupe les Juifs des Pays-Bas avant de les déporter vers Auschwitz. C'est la voie qu'elle a choisi : accompagner jusqu'au moment du départ ceux qui s'entassent dans les convois de nuit, et dont le rythme funeste ne cesse de s'accélérer. Employée par le Conseil juif d'Amsterdam, son statut la protège de la déportation, mais elle demande son transfert au service d'aide sociale aux populations en transit, une manière pour elle d'échapper à un poste privilégié dans un bureau, situation qui la plonge dans un profond malaise.
Ce n'est que quarante ans plus tard, en 1981, que ses cahiers, heureusement conservés, trouvent un éditeur, grâce au fils d'un écrivain de ses amis. Depuis lors, l'intérêt, l'admiration suscités par ce texte lumineux, révélant une personnalité libre et ardente, ne cessent de s'affirmer.
En 1941, Etty a 27 ans, et si elle est belle et intelligente, elle est aussi fantasque, sensuelle, et au début de son journal, encore rebelle et fière. Elle vit avec sa famille, entre un père un peu austère, docteur en lettres classiques, reclus parmi les livres, une mère d'origine russe, passionnée et instable, dont la famille avait fui les pogroms de son pays natal, et deux frères cadets, dont l'un se destine à la médecine et l'autre, surdoué, à une carrière de pianiste. Elle obtient une maîtrise de droit, enseigne le russe pour gagner sa vie, et rêve de devenir écrivain.
Les épreuves qu'elle décide de traverser jusqu'au bout vont renforcer sa vocation. Pour construire des jours nouveaux, elle se doit de transmettre, de " porter le nécessaire témoignage ".




Au fil des pages, au fil des jours, Etty déchiffre l'Histoire, comprend le message de son époque déchirée, et s'illumine au sens de la vie. A Westerbork, sur ce morceau de lande nue ceinturé de barbelé, ce périmètre tracé de l'infinie détresse humaine qu'elle parvient à chérir, sa présence radieuse apaise tous ceux qu'elle rencontre avant leur départ pour les camps de la mort.
Dès les premières mesures prises contre les Juifs de son pays, elle comprend l'ampleur d'une persécution totale et inéluctable qui touche l'Europe entière. Si elle refuse d'être engloutie dans la tourmente, la fuite lui répugne, et c'est en accueillant la tragédie, en la " regardant au fond des yeux " sans tressaillir, qu'elle trouve le salut.
Elle décide de partager le sort des victimes, quoi qu'il arrive, et dans cet élan de dignité pour embrasser un destin collectif, ouvre la voie de son éveil personnel.
Chaque jour, le monde qui l'entoure sombre davantage dans l'horreur et le chaos, chaque jour Etty s'illumine, accomplit sa révolution intérieure, incarne dans une rayonnante cohérence un profond changement de conscience qui libère en elle des forces insoupçonnées. Pour elle, la transformation doit "se fonder psychiquement, devenir un acte conscient." Chaque jour elle arrache au néant des lambeaux d'humanité, conquiert une intense présence au monde, généreuse, contre la tyrannie qui s'acharne.
Gagner sur soi-même d'abord, renouer avec le sens de sa propre responsabilité, pour soi et pour les autres, pour l'avenir, pour l'avènement d'êtres meilleurs, sinon l'épreuve terrible n'aura servi à rien.

" Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n'ayons d'abord corrigé en nous-mêmes. L'unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-mêmes et pas ailleurs ".

" Ne pourrait-on apprendre aux gens qu'il est possible de travailler à sa vie intérieure, à la reconquête de la paix en soi. De continuer à avoir une vie intérieure productive et confiante par-dessus la tête - si j'ose dire - des angoisses et des rumeurs qui vous assaillent ".
 
" Je me sens dépositaire d'un précieux fragment de vie, avec toutes les responsabilités que cela implique. je me sens responsable du sentiment grand et beau que la vie m'inspire et j'ai le devoir d'essayer de le transporter intact à travers cette époque pour atteindre des jours meilleurs ".

Etty brûle du désir de vivre le meilleur comme le pire, et toutes les possibilités de la vie, sans discrimination, deviennent les vitamines de son énergie, qui dopent son appétit de bonheur. Son alchimie intérieure transforme toutes ses expériences en or pur.
Construisant son éthique personnelle, elle se découvre peu à peu habitée par la foi. A chaque pas, la certitude de Dieu s'impose. Mais la foi d'Etty est singulièrement originale, ne se recommande d'aucune église, d'aucun dogme, libre de tout système de pensée, de toute tradition, elle peut être acceptée par le plus grand nombre, les croyants et ceux qui croient ne croire en rien :
" Voilà peut-être ce qui exprime le plus parfaitement mon sentiment de la vie : je me recueille en moi-même. Et ce moi-même, cette couche la plus profonde et la plus riche en moi où je me recueille, je l'appelle Dieu ".
Dans les pages des petits cahiers d'écolier, Etty parle de tout, de ses fâcheries avec ses parents, dont la vie conjugale orageuse l'épuise, de ses frères, de l'amour et de la sexualité, de la haine, cette " maladie de l'âme " qu'elle ne veut pas fréquenter, de la souffrance et de la peur, de ses maux de tête, de ses relations étranges avec le mystérieux Julius, psychologue charismatique qui la révèle à elle-même, de ses amis qui disparaissent les uns après les autres, de ceux qui restent, de son quotidien terrible dans les baraques du camp, de sa lutte intérieure, de Dieu, de ses lectures et de son petit bureau encombré de livres... témoignage historique, autobiographie d'un écrivain naissant, parcours initiatique, recherche éthique, spirituelle, fragment d'humanité jaillissant des ténèbres.
Par dessus tout, elle découvre la reconnaissance, l'amour de la vie qu'elle trouve belle et qui l'enchante. Dans une Europe fracassée, dans un camp de transit dépeuplé chaque début de semaine par les départs des convois, elle ne craint plus rien, elle suit sa route :
" Mais sous mes pas, dans mes pérégrinations, c'est pourtant partout la même terre, et au-dessus de ma tête ravie partout le même ciel avec tantôt le soleil, tantôt la lune et toutes les étoiles. Alors pourquoi parler d'avenir inconnu ? "


Etty sait déjà tout, elle porte le monde en elle, elle a livré toutes les batailles et pansé toutes les blessures de l'humanité. Elle vient même au secours de Dieu, assez aimante pour lui pardonner.
A Westerbork, elle accueille ses parents et son plus jeune frère, pianiste prodige promis à un avenir radieux. Elle espère qu'ils ne partiront pas, mais le courrier envoyée par sa mère au commandant en chef de la police et des SS des Pays-Bas sans doute pour plaider la cause du jeune artiste, provoque la colère du chef militaire qui ordonne la déportation immédiate de toute la famille. Le statut d'Etty, fonctionnaire du Conseil juif, devait la protéger, mais un chef zélé a tenu à appliquer les ordres à la lettre.
Le 7 septembre 1943, elle monte la dernière dans le train, ses parents et son frère sont déjà enfermés dans un wagon plus loin. Un de ses amis à Westerbork l'accompagne " boulevard des convois " et raconte son départ dans une lettre adressée à ses amis restés à Amsterdam : " Elle bavardait joyeusement, riait, avait un mot gentil pour tous ceux que nous rencontrions, elle pétillait d'humour ".
Il est persuadé de la revoir très vite, il se trompe. Elle ne reviendra pas, toute sa famille non plus, son frère plus âgé, déporté plus tard, trouvant la mort lors de l'évacuation du camp de Bergen Belsen.
Mais cet ami compagnon de l'enfer ne se trompe pas lorsqu'il dit " une amitié comme la sienne ne se perd pas. Elle est là, et demeure ". Celle qui voulait être " le cœur pensant de la baraque " de Westerbork, irradie toujours un espoir et une joie imprenables.
A côté de mon lit, depuis tant d'années, son journal paru sous le titre " Une Vie bouleversée " suivi de Lettres de Westerbork est posé, les mots palpitent au cœur des pages, et demeurent.

" Comment ferais-je pour décrire tout cela ? Pour faire sentir à d'autres comme la vie est belle, combien elle mérite d'être vécue et comme elle est juste - oui : juste. Comment parler de cette intense joie de vivre, de cet amour et de cette force qui jaillissent de moi comme des flammes. Je trouve la vie si belle et me sens si heureuse. 
Je suis une femme heureuse et je chante les louanges de cette vie, oui, vous avez bien lu, en l'an de grâce 1942, la énième année de guerre ".



mercredi 7 janvier 2015

Je suis Charlie


La façade du théâtre Liberté


 Toulon, place de la Liberté, à 18 heures ce soir... mercredi 7 janvier.
Je suis là, abasourdie.
Ma main tremble, mais la petite flamme brille, bien droite. Et fière.




mercredi 23 juillet 2014

Toulon, terre promise

Au fil de mes pérégrinations, je me retrouve à Toulon. Ce n'était pas prévu au programme, mais un changement de direction professionnelle, un temps de réflexion assorti d'une période de chômage, une proposition inattendue pour un emploi d'accompagnement professionnel auprès des porteurs de projets artistiques, et me voilà invitée à séjourner dans le sud, loin de mon cher Paris.
A Toulon, je suis habitée d'un sentiment d'étrangeté, comme si la ville engourdie avait subi un sort maléfique dont elle tente de se libérer.  En pleine mutation, le centre ancien, muré, éventré, subit les assauts des démolisseurs et de leurs machines, et reste pour le moment illisible hors de certaines rues commerçantes conduisant à des îles, des places comme des repères stables où la vie est possible. La déambulation, contrainte, suit les mêmes parcours balisés sous peine d'égarement dans une ville fantôme, des ruelles étranglées, privées de lumière, bordées de maisons décrépites vidées de leurs habitants, dont les volets claquent les jours de mistral. Quel affligeant contraste avec l'animation que j'ai connue à mon époque lycéenne, la vieille ville alors était surnommée Chicago. J'ai raconté déjà dans ce blog (voir l'article Houpon pompette) ma fascination pour la Chicag' maritime.






Les devantures rouillées des magasins tristement closes se couvrent de couches superposées d'affiches et de graffitis qui stigmatisent encore la paralysie économique. La promenade a un certain charme cependant, les vestiges de la vie passée sont sensibles. Une élégante porte massive se décompose, la dentelle d'une ferronnerie s'effrite, fragile comme une gaufrette, les fenêtres défigurées par des murs d'agglos revêches gardent leurs encadrements moulurés.


Les devantures des boutiques mortes laissent deviner parfois un style qui fut délicieusement art déco, comme l'architecture des anciennes halles municipales, construites en 1929, merveille en béton armé, qui n'en peut plus d'attendre une réhabilitation soumise à de multiples projets et qui tarde à se concrétiser.




De cette ville en devenir, j'espère le meilleur, et le sentiment qui m'étreint est celui de l'incertitude. Je tremble parfois devant la façade d'une maison déglinguée dont je repère les charmes fatigués, et j'espère une intervention secourable qui saura la faire renaître en conservant sa patine usée. Je rêve que la rade se libère de sa muraille dressée d'immeubles (révolutionnaires à leur époque, je sais, et la façade sur la mer habillée de persiennes colorées est plutôt gaie, mais les trouées prévues par la construction sur pilotis, occupées maintenant par des bars et des restaurants, ne jouent plus leur rôle de respiration et de transparence) et inonde la ville de lumière, de souffle salé et d'embruns. J'imagine le destin d'un immeuble humilié qui retrouve sa superbe, et la vocation retrouvée d'une petite place abandonnée : offrir une ombre apaisée, inviter au dialogue chuchoté pour ne pas déranger le ruissellement doux de la fontaine rendue à l'eau vive, gaie et glougloutante sous la mousse. Je me tricote des illusions, mais ma situation songeuse, si elle comporte des risques d'amères déceptions, me procure aussi certains délices. Si Toulon me donne à rêver, c'est qu'elle est porteuse d'infinies possibilités, avec ce contraste étonnant entre la ville haute, aérée, majestueuse, hausmanienne, et la ville basse, dense, sombre et resserrée. Et je ne m'attendais pas à placer dans cette ville que j'ai longtemps mal aimée, je l'avoue, autant d'espérance. Et si Toulon s'inspirait un jour de la ville de Nantes qui propose des parcours de découverte de la ville et des environs revisités par des artistes ? Je démarre au quart de tour, j'imagine des balades dans la ville émaillée d'expositions, des installation d'œuvres nichées au cœur de la cité comme autant d'étapes poétiques et ludiques, des lieux insolites pour des apéros, des points de vue pour des haltes songeuses, des circuits à vélo entre mer et montagne sur des parcours aménagés, des vestiges préservés après des fouilles délicates, la découverte des quartiers et de leur histoire.




Imaginez une promenade au XVIIe siècle à la rencontre des portes anciennes, arquées en plein cintre, avec une clef de voute saillante décorée et parfois un petit oculus ovale au-dessus, comme un clin d'œil, remontez le temps avec les portes soulignées par un linteau droit ou arrondi aux coins retroussés, avec l'imposte sculptée, imaginez des rendez-vous avec des balcons bordés de ferronneries de style rocaille ou géométriques, des aperçus dans les airs sur les petits lanternons en verre coniques qui chapeautent les toits, les altanas, posés sur les tuiles pour éclairer l'escalier intérieur.







Je m'emballe, et l'autobus en partance pour ce terminus engageant, un quartier des environs au nom évocateur de mille largesses, me fait sourire, moi qui ne croit pourtant qu'aux Eldorado intérieurs acquis de haute lutte.


En attendant de voir la ville émerger de ses décombres, je me réjouis déjà de l'arrivée du Monop' au cœur de la vieille ville, dans un bâtiment austère, mais non dénué d'une certaine solennité, l'ancienne Bourse du travail, haut lieu des luttes ouvrières. J'aurais aimé autre chose qu'un grand magasin, il a été longtemps question d'une médiathèque, mais je préfère que des vitrines s'allument dans les belles arches conservées, plutôt que d'assister impuissante à leur lente agonie par étouffement. Les gens reviendront, redonnant vie à la rue sinistrée, et de nouvelles boutiques devraient ouvrir alentour. Et puis moi, je voue au Monop' une reconnaissance éternelle depuis toujours, il fait partie de mon patrimoine personnel et m'a sauvée d'un chagrin d'amour. D'abord perdue comme une naufragée entre les rayons, peu à peu ma peine était comme mystérieusement épongée par la lumière intense, les collants rayés et les chaussettes à pois me ravissaient, la vaisselle pimpante me redonnait de l'appétit, et les petites boîtes de fard me promettaient des joues couleur pêche ou abricot. Je sortais du magasin ragaillardie, avec l'envie de vivre de nouveau, une goélette qui prend le large, avec moins de ronds dans le porte-monnaie certes, mais une énième paire de chaussettes essentielle à ma sortie de crise. Aucun autre grand magasin n'a jamais eu sur moi cet effet antidépresseur, pourtant j'en ai testé tout un tas, et certains au contraire me collent plutôt le blues.
Je ne vais pas faire le tour de toutes les bonnes adresses ni des plans shopping à Toulon et les environs. Ce n'est pas le sujet de mes billets, et il y a déjà quelqu'un qui fait ça plutôt bien. Elle s'appelle Julie, Toulonnaise d'adoption toute neuve, et son blog de dénicheuse, From Toulon with love,  est une mine qui regorge de pépites. Mode, beauté, déco, créateurs, restos, festivals, expos... ses chroniques tendances sont épatantes et grâce à son énergie gourmande et ses sens en éveil, elle démontre que Toulon est en passe de sortir de sa léthargie mortifère.


Petit coup de cœur cependant pour un lieu sympathique dans la vieille ville, le Chicag' hostel. Conçu comme une auberge, les voyageurs partagent la grande cuisine, la salle d'eau et les chambrées pour 4 ou pour 6 personnes ( misanthropes et chichiteux s'abstenir ). Aménagé par d'ingénieux bricoleurs fans de récup, la déco tout terrain y est fonctionnelle, drôle et tendre, et dans le grand salon, des instruments de musique, des bouquins attendent sagement, comme dans une maison qui sait accueillir les invités de passage. Brunchs et apéros, vide-greniers et puces vintage, street-painting dans la ruelle, Chicag' hostel organise tout un tas d'évènements pour célébrer la rencontre, la convivialité et réanimer ce petit coin de quartier, la rue Bonnetières, à deux pas du port. La petite vidéo en ligne sur le site pour se rendre à l'hôtel est hilarante et augure de l'ambiance qui prévaut dans ce lieu d'hébergement insolite. Imaginez une bande de copains qui monte dans un vrai lit (avec draps, couverture et oreillers), icône de l'hôtellerie, transformé en taxi dévalant à toute allure de la gare jusqu'à destination, les noms des rues et des places s'affichant tout au long de l'itinéraire. Tant il est vrai que le lit est synonyme de voyages, véhicule du rêve et de l'évasion. Have a good trip !





samedi 12 juillet 2014

Etres femmes #3

J. Howard Miller. 1943
Dernier volet de mes pérégrinations, un répertoire non exhaustif des blogs écrits par de féminines plumes bien trempées, pertinentes et impertinentes. Elles ne se contentent pas de dénoncer et de traquer la pub sexiste, le propos macho, et toutes les violences faites aux femmes. Elles sont militantes et engagées, sérieuses et professionnelles, drôles et graves, intelligentes et décapantes, audacieuses et talentueuses et font bouger les lignes. Elles écrivent comme elles respirent, ne manquent pas d'air, pensent haut et clair, et causent pareil, tambour battant. Journalistes, écrivains, blogueuses, à découvert ou cachées derrière un pseudo, elles occupent le terrain 2.0 et plaident pour la parité, la parole donnée aux femmes, dans des domaines réservés à la seule expertise masculine comme la politique, l'économie ou le sport.
Il y a peu, j'ai vu une publicité à la télévision assez stupéfiante. Il s'agissait de vendre un canapé, et la marque Cuir Center n'a pas lésiné sur le cynisme. Pour vanter la qualité dudit mobilier, 3 hyènes s'ébattent sur le cuir blanc des coussins, se vautrent de plaisir et ricanent. Intriguée par ce choix singulier, dans l'imaginaire collectif cet animal n'est pas franchement attirant, perçu avant tout comme une bête disgracieuse, agressive et hurlante, se nourrissant de charognes et d'ordures, j'ai eu à peine le temps de m'interroger sur le sens obscur de la mise en relation du prédateur de la savane avec un canapé élégant (les coussins allaient-ils résister aux mâchoires de la bête affamée, réputée pour sa voracité et démontrer une solidité à tout épreuve ? Le cuir blanc révèlerait-il davantage sa délicatesse et sa douceur, comparé aussi subtilement à la sauvagerie de l'animal ?) que la révélation sur le sens du message ne se fit pas attendre. Dans le plan suivant, les 3 hyènes s'étaient transformées en 3 jeunes femmes assises sur le canapé, leur belle apparence contrariée par leurs ricanements, leur complicité féminine caricaturée en sabbat déchaîné de bêtes hurlantes.
Décidément, depuis la publicité Orangina, qui compare systématiquement la femme à une girafe, une chèvre ou un poulpe, la référence animale pour évoquer la femme est une source d'inspiration inépuisable pour les créatifs. Des petits malins, et plus surprenant des petites malignes, ont tenté de ridiculiser encore davantage les femmes choquées par la publicité du fameux canapé avec leurs commentaires sur les blogs qui dénonçaient le sexisme des images. Elles ignorent, ces crétines absolues et rabat-joie totalement dépourvues d'humour de surcroit, que la hyène est un animal méconnu qui ne mérite pas sa mauvaise réputation. La femelle domine le mâle, par sa taille et son poids, et vit dans une harde dont l'organisation matriarcale laisse au sexe opposé une place négligeable. Le volume de ses organes génitaux est suffisamment conséquent pour en imposer, et elle est capable de se délecter d'autre chose que de pourriture, sa dentition carnassière lui permettant de déchiqueter aussi de la barbaque fraîche. Pour finir, son hurlement hystérique ressemble davantage à un rire, contagieux qui plus est. Je suis conquise par ces révélations, et honteuse de mon ignorance, je sacre définitivement la hyène tachetée pionnière et citoyenne modèle d'une société idéale que j'appelle de mes vœux. Une société qui remplacerait la domination masculine par celle des femmes, la longueur du pénis concurrencée par l'hypertrophie du vagin ! J'ai toujours rêvé, comme la majorité des femmes, d'être pourvue d'une vulve proéminente comme une noix de coco, et d'arracher avec les dents des lambeaux de salami putréfié, ricanant atrocement, les babines retroussées, dans un monde où les hommes seraient réduits en esclavage, voire dévorés, tout frais zigouillés ou largement faisandés. Je suis reconnaissante aux publicitaires de rendre hommage aux hyènes et aux femmes, de réhabiliter dignement leur condition commune, et avec un humour sublime, de lier la féminité à la sauvagerie animale. Le message publicitaire est limpide, les hyènes femelles devraient être séduites par le canapé Cuir Center parfaitement adapté aux papotages dans la savane entre copines, mais seront-elles flattées par la comparaison audacieuse avec les femmes, et la marque a-t-elle réellement touché sa cible, la hyène trentenaire, moderne, fière de sa décoration d'intérieur, élégante et confortable ? Je serais navrée pour Cuir Center si les hyènes boudaient le fleuron de leur collection, un canapé pourtant spécialement destiné aux charognardes hystériques, à cause d'une comparaison dont la pertinence et la subtilité leur aurait échappé.


Je reviens à mes plumitives du web. Isabelle Germain est journaliste, plus spécialisée dans la presse économique et l'info générale, et a collaboré à l'Express, Le Monde, Psychologies magasine, Marianne... Elle a créé le site les Nouvelles News,  « de l'actu avec 50% de femmes dedans », une info différente qui donne la parole aux femmes à part égale avec les hommes, pour une vision plus juste et plus complète de la démocratie. Dans l'équipe, Natacha Henry, journaliste et historienne, fondatrice de Gender Company, site sur lequel elle lutte contre le sexisme dans la culture et les médias et contre les violences sur tous les fronts, conjugal, sexuel, professionnel.
Sophie Gourion s'affiche sur son site Tout à l'ego comme rédactrice et journaliste du web ( Slate, Rue89, Auféminin.com, L'Express Styles...) et se définit avec humour comme  « brune sans filtre, féministe à talons. 1m77 de contradictions. Mère calme à agitée qui a perdu le mode d'emploi de ses gosses ».  Elle décape les publicités sexistes, et zoome sur les créatrices d'entreprises innovantes, histoire de changer les mentalités et la vision d'un féminisme revanchard et daté.
Myriam Levain œuvre avec deux copines pas potiches sur Cheek Magasine  et c'est passionnant, et sur Les Martiennes (parce que toutes les femmes ne viennent pas de Vénus) et c'est toujours passionnant. Extrait :  « Les martiennes sont ces femmes qui ne se résument pas à l’émotion et la douceur, et qui se réalisent avant tout dans le pouvoir et l’action, pour être indépendantes, affranchies des stéréotypes et des attentes que la société porte sur elles ».  Maïa Mazaurette est écrivain, auteur de bandes dessinées, chroniqueuse, et son sujet de prédilection à elle, c'est la sexualité, comme son blog l'indique sans détours, Sexactu.
Claire Alet a créé en mars 2014, avec 25 journalistes, le collectif Prenons la Une, avec une déclaration manifeste comme étendard. Aperçu :
« Nous, femmes journalistes, dénonçons la trop grande invisibilité des femmes dans les médias. Dans les émissions de débat et les colonnes des journaux, les femmes ne représentent que 18% des experts invités. Les autres femmes interviewées sont trop souvent présentées comme de simples témoins ou victimes, sans leur nom de famille ni leur profession.
Nous, femmes journalistes, ne supportons plus les clichés sexistes qui s'étalent sur les unes. Pourquoi réduire encore si souvent les femmes à des objets sexuels, des ménagères ou des hystériques ?
Par ces déséquilibres, les médias participent à la diffusion de stéréotypes sexistes. Or ils devraient à l'inverse représenter la société dans toutes ses composantes. Ces stéréotypes sont à la fois la cause et le résultat des inégalités professionnelles, des propos et attitudes sexistes au sein des rédactions, mais aussi du manque de sensibilisation des journalistes à ces sujets ».
Et puis aussi Marie Donzel et son site Ladies&Gentlemen, « chèfe d'entreprise et auteure » qui promeut « l'égalité des sexes au cœur de l'actualité », et puis d'autres, la miroitante Myroie qui reflète les inégalités de la société et qui remet en question d'abord ses propres certitudes sur Egalitariste, le site A Contrario, avec « de vraies chroniques élevées en liberté », Les Déchaînées, 6 mal pensantes dérangées, Valérie sur Crêpe Georgette, crépeuse de chignon invétérée, Anaïs' Misfits,  « anti miso-boulot-dodo », Daria Marx« la seule adresse à écrire en gras », rédactrice rondelette qui assassine les poivrons pour se calmer les nerfs... il y en a tellement, Melissa Bounoua la Misspress, Peggy Sastre, Mona Chollet... un festival d'agitées du bocal qui pensent la société autrement et donnent du féminisme une image aux mille facettes.
Allez, zou... les petites dernières, elles chantent. La P. O. U. F (Petite Organisation Ultra Féminine) ou 3 chanteuses foldingues qui se moquent des clichés de la pouffitude. Hard Pouf est une grande rousse flamboyante et tatouée, plutôt cuir et léopard, Aéro Pouf une nunuche acidulée adepte du stretching en collants roses, et Diva Pouf, la bourgeoise BCBG. Humour et kitscherie, poésie et tendresse en prime.
Et celle qui porte un prénom impossible, GiedRé (patronyme Barauskaité), la faute à ses origines lituaniennes, petite blondinette, sainte nitouche minaudante, affublée de robes improbables en vichy rose festonnées de dentelle, qui déverse d'une voix douce des abominations réjouissantes sur la pédophilie, la prostitution, la zoophilie et la scatologie, qui fait des petits ronds avec les doigts parce qu'un anus c'est mieux qu'un cœur pour parler d'amour, et qui préfère les colliers de jolis étrons plutôt que les perles de culture.





jeudi 10 juillet 2014

Etres femmes #2

Vous pensez peut-être qu'une démarche féministe, portée par un certain nombre d'artistes femmes actuelles, est dépassée, et que prendre la relève des pionnières engagées dans les années 70 est totalement ridicule de nos jours. Dans ces années-là, les femmes dans le monde de l'art étaient invisibles, et le travail de Gina Pane, Judy Chicago, Faith Wilding, Orlan, secouaient déjà les tabous liés au corps et au plaisir féminin. Aujourd'hui, les choses n'ont (presque) pas changé, la présence des femmes reste minimale, alors qu'elles sont plus nombreuses que les hommes dans les écoles d'art et majoritairement diplômées.
Si vous croyez que les tabous sont moribonds, concernant la nudité des femmes, sachez que le moindre petit poil sous les aisselles, même blondinet et duveteux, est totalement proscrit dans les magasines, jugé inconvenant, négligé et sale. Alors que dire du poil pubien, immonde et dégoûtant. Le naturel est scandaleux, une belle peau n'a ni taches de rousseur, ni petits plis expressifs, ni grains pourtant de beauté, n'a jamais de cicatrices, ni jolies ridules qui étoilent le coin des yeux, rien. La femme belle et désirable est comme une statue, lisse, retouchée, artificielle, tenue à distance, toute vie effacée, niée, une femme acceptable est une femme morte.
Petra Collins, encore elle (voir Fatales ladies #1), a eu la surprise de voir son compte Instagram fermé à cause d'une photo, postée sur son compte, jugée dégoûtante, provocatrice, abominable. Prise à la taille, on voit ses cuisses et la culotte de son maillot vert, et horreur, des franges de poils follets et frisottés qui s'échappent. Un traumatisme !



Emily Jouvet se définit comme une féministe sex-positive. Photographe, cinéaste, son travail est un acte de résistance pour la liberté fondamentale de disposer de son corps et de choisir librement son orientation sexuelle, son genre, ses pratiques, hors des normes hétérosexuelles, du machisme et du puritanisme dominants. Très engagée dans le mouvement LGBT, elle œuvre à la prévention des violences dans le milieu lesbien, tourne des films de sensibilisation et d'information (sur les risques de maladies sexuellement transmissibles par exemple), et se bat pour les droits des minorités, quelles qu'elles soient.
Elle définit ses modèles comme des personnes ordinaires, normales dans le sens qu'elles revendiquent fièrement leur droit d'aimer, de fonder une famille, de travailler, scandaleuses et dérangeantes, parce qu'elles bousculent les schémas et les archétypes de la société. Féminités plurielles, pour reprendre le titre de l'une de ses expositions, qui torpillent les codes établis, brouillent le politiquement correct, agressent le bon goût et mélangent les genres, défrichent d'autres territoires, arrachent les étiquettes et en revendiquent de nouvelles, tatouées sur la peau.




Autre guérillerose qui fait bouger les lignes, étoiles pailletées au bout des tétons, Wendy Delorme est performeuse et strip-teaseuse burlesque, actrice (dans les films d'Emily Jouvet),  écrivain, avec des titres comme Quatrième génération, Insurrections ! En territoires sexuels, ou encore La Maman, la sainte et la putain, et enseigne à la Sorbonne les sciences de l'information et de la communication. Elle conduit des ateliers sexualités- plaisir et connaissance de soi, où dans une ambiance chaleureuse et respectueuse, les femmes rassemblées découvrent sur leur corps des choses encore inconnues et réactivent la sororité.
Vous considérez éventuellement que ce type d'atelier ne s'adresse qu'aux lesbiennes, aux nymphomanes ou autres dépravées. Que vous savez absolument tout ce que vous avez besoin de savoir pour vivre une sexualité équilibrée et satisfaisante, et que la libération sexuelle féminine a bel et bien eu lieu une fois pour toutes dans les années 70. Personnellement, j'ai appris des choses en me documentant sur le contenu de ateliers de Wendy Delorme. Si je savais déjà que les femmes pouvaient inonder leur partenaire, les fameuses femmes fontaine, j'ignorais que c'était grâce à leur prostate, scientifiquement nommée glandes de Skene. Et que si je connaissais l'existence du point G, j'ignorais qu'il pouvait y en avoir plusieurs ! Waooooooh !

Wendy Delorme. Photo Yann Levy
Pour clore le petit tour d'horizon, une halte sur l'action de Déborah de Robertis.  Le côté spectaculaire, exhibitionniste était absent de son acte artistique, issue d'une réflexion et d'une démarche. Elle est arrivée tranquillement, toute mignonnette dans sa robe dorée, dans la salle du musée d'Orsay où était exposé le tableau de Courbet, l'Origine du monde. Devant le public médusé, elle s'est assise sous le tableau, a ouvert les jambes, exposant le cœur intime de son anatomie. Un scandale ? pas vraiment. Le public s'est attroupé, a applaudi, les gardiennes du musée et de la morale se sont interposées pour cacher l'attentat à la pudeur, l'artiste est restée immobile, calme et sage, naturelle, offrant un corps, un visage, une identité au tableau de Courbet. Le directeur lui a fait remarquer qu'elle aurait pu demander une autorisation, et le scandale est retombé comme un soufflet.
Je me souviens de l'œuvre réalisée par Orlan, en 1989. Plagiat du tableau de Courbet, le sexe masculin porte le titre l' Origine de la guerre.
Dernier clin d'oeil à Petra Joy, écrivain, photographe et cinéaste sex-positive, qui revisite le porno, jugé dégradant pour les femmes, et invente le film érotique féminin. Elle explore leurs fantasmes et propose une nouvelle sensualité, libre, drôle, créative, respectueuse des femmes et de leurs désirs. Est-ce pour cette raison qu'elle a l'air de s'éclater autant, Petra ?
(Je me demande si Joy est son vrai nom, et si elle l'a choisi, j'imagine une allusion provocante de sa part, on appelait communément autrefois les prostituées les filles de joie).


mercredi 9 juillet 2014

Etres femmes #1

Voilà les fées Carabosse génération 2.0, princesses mauvais genre, pouffes délurées et sexy, coquines burlesques, femelles intenables et scandaleuses péronnelles, elles écrivent, chantent, filment, peignent, sont photographes, journalistes, plasticiennes... Elles pensent et parlent cash, et donnent à leur façon un coup de plumeau ravageur à la féminité correcte et normée.
Petit tour d'horizon décapant de ces nanas provocantes, indignes empêcheuses de tourner en rond, sacrées emmerdeuses qui secouent le pompon des étiquettes et autres définitions gravées dans le marbre, et collent une bonne claque aux préjugés et aux tabous qui pèsent sur la sexualité féminine.
Audacieuses, inspirées, bourrées de talent et d'humour, elles bousculent pêle-mêle le genre, l'identité et les critères esthétiques sans avoir besoin d'aucune légitimité. Et dans le paysage terne et morose, elles allument autant de diablesses flammèches pour nous mettre le feu là où il faut.
Petra Collins est canadienne, photographe et écrivain. Toute jeunette, elle est déjà considérée comme l'une des meilleures photographes de moins de 30 ans et collabore à de nombreuses revues, Vogue Italia, Garage, Rookie magazine, Vice... Elle a déjà eu droit à son exposition personnelle à New-York et a fondé The Ardorous, un collectif d'artistes délurées qui abordent la sexualité féminine sans pudibonderie, mi hardeuses mi fleurs bleues, des filles quoi.
Ses images, comme la série Teenager gaze, montrent l'univers des filles adolescentes. Les sorties avec les copines, les séances de maquillage devant la glace de la salle de bain,  en soutien-gorge et petite culotte, les fringues vintage et les mèches de cheveux roses ou vertes, un diadème de princesse de pacotille qui vacille, et des yeux amandes tristes étirés par le liner. Elles ont toutes l'air d'attendre quelque chose, ou d'avoir renoncé à tout, si lasses, petites pouffes kitsch et destroy. Quand il y a de la lumière, l'image est surexposée, comme une photo amateur ratée qui crame les couleurs et les formes, sinon elle est cradingue, elle n'est pas là pour faire joli, elle est comme elle est, en vrai.





Petra Collins a déclenché un véritable tsunami médiatique avec son T Shirt dessiné, même si la crudité du sujet est quand même adoucie par le parti-pris graphique et la couleur aquarellée. Face aux réactions outragées d'une partie des médias, elle pose les questions qui fâchent. Pourquoi la représentation du sexe féminin, du plaisir et de la réalité physiologique naturelle (la menstruation) provoque-t-elle autant de dégoût, de peur, de rejet ? Personne ne semble plus s'offusquer vraiment devant le visage tuméfié de la chanteuse Rihanna, battue par son petit ami, exposé dans la presse à scandale pour booster les ventes, ni devant les kilos en trop d'une actrice moins sexy après sa grossesse, les photos de son corps déformé à la une, jeté en pâture aux critiques et aux moqueries. Petra Collins s'attache à dénoncer la violence des traitements infligés aux femmes, la censure systématique de la jouissance féminine, le tabou lié au sang menstruel, sale, impur, incongru, malodorant, et l'impact destructeur sur la relation des femmes avec leur corps et leur sexualité, honteux, dérangeants, inconvenants.


Une autre artiste, new-yorkaise celle-là, Sophia Wallace, a décidé de nous éduquer et de permettre à l'humanité de sortir enfin de son ignorance bornée. Son œuvre monumentale (3m x 4m, quand même, impossible de ne pas la voir, avec son néon raccoleur), joliment baptisée Cliteracy, qui pourrait se traduire par Cliterralement, nous délivre une bonne centaine de lois naturelles, données scientifiques, informations historiques, statistiques et moulte références à l'architecture, la pornographie, la pop culture, toutes consacrées au clitoris, Clito pour les intimes.
Elle réhabilite cet organe au rang qui lui est dû,  bien au-delà du simple petit bouton charnu, vestige, inutile pour une proportion considérable d'hommes et de femmes, d'un appendice plus conséquent et aujourd'hui disparu. Grâce aux études d'une urologue australienne, Helen O' Connel, nous découvrons la réalité cachée, l'existence à l'intérieur du corps d'un organe complexe, érectile, comme une pince enserrant le vagin, et pouvant mesurer jusqu'à 12 cm de long au repos. Le véritable organe sexuel féminin, enfin révélé, source de plaisir, mais souvent ignoré, éventuellement optionnel, faute de mieux. Le vrai plaisir, voire le seul existant, est toujours, incontestablement celui de la pénétration, le plaisir que l'homme donne, dans toute sa puissance virile.



Cliteracy est une œuvre didactique, conçue comme un manifeste (l'artiste n'a pas voulu confiner son travail dans une galerie, et a réalisé une campagne d'affichage sur les murs de New-York) avec des vérités qui dérangent,  appelant à une nouvelle expression du corps et de la sexualité. Saviez-vous que la chirurgie du clitoris, capable de restaurer sa sensibilité, est toute récente, contrairement à celle du pénis, qui existe depuis des lustres, consacrée par des milliers d'ouvrages ? Jusqu'à il y a peu,  rendre le plaisir à des femmes excisées n'intéressait personne.




Le programme Cliteracy s'il est sérieux, documenté, scientifique, est aussi drôle et décomplexé. Il prévoit aussi un clito rodéo. Une sculpture dorée, anatomiquement juste, représentant un clitoris surdimensionné et chevauchable, donne lieu à des performances interactives avec le public.

« La cliteracy c'est de ne pas voir son corps contrôlé ou réglementé. Avoir accès au plaisir, qui est un droit de naissance, est un acte politique fort ». Yihaaaa !



Chloé Wise est canadienne, plasticienne, encore une jeunette biberonnée à la culture numérique, catégorie digiféministe. Narcissique, folle de son téléphone portable et droguée aux selfies, elle n'en est pas moins en prise directe survoltée avec le monde. Ses publicités canulars sur les tampons périodiques, tampons horoscopes, graines bio, en marbre ou arty, sont hilarantes. Dotée d'un solide sens de l'humour, elle croque le monde à belles dents et s'attaque aux tabous dans un grand éclat de rire.


dimanche 6 juillet 2014

Blackn' White Picasso

Mains noire-blanche. Man Ray 1935

Cette photographie de Man Ray, deux mains peintes par Picasso en noir et en blanc, est une introduction savoureuse pour une histoire qui concerne le célèbre peintre et sa famille.
L' humour et l'extraordinaire vitalité de Pablo Picasso participent de la fascination que cet artiste hors du commun exerce sur les admirateurs de sa vie et de son œuvre. Son goût pour le déguisement, son humeur facétieuse ont donné lieu à de nombreux portraits, coiffé de plumes d'indien, la fleur à l'oreille, ou encore assis à la table du déjeuner, ses mains posées sur la nappe, remplacées par des pains, drôlatiques gants de baseball à la sauce Dada, dodus et appétissants.






Avec l' image suivante, nous pourrions croire à une nouvelle fantaisie de Pablo, le visage enduit de cirage, ou encore opter pour l'intervention canular d'un champion de Photoshop. Il semble que la réalité soit tout autre.
Ce portrait à la ressemblance troublante, encore accentuée par la célèbre marinière fétiche, est celui de Juan Antonio Pascual Picasso Perez, octogénaire cubain et peintre...  en bâtiment de son état, aujourd'hui à la retraite. Surnommé avec humour par ses proches « El Negativo »,  il serait le cousin très contrasté de Pablo Picasso, un descendant noir de la famille, lignée fondée par le grand-père du peintre célèbre, à La Havane.




Le grand-père maternel de Pablo, Francisco Picasso Gardegno, quitte Malaga pour Cuba, colonie espagnole, en 1868 en laissant une famille de 6 enfants (dont Marie, la mère de Pablo Picasso), officiellement pour faire fortune et nourrir sa famille. A Cuba, ce gentleman fantasque, tel qu'il est décrit, rencontre une esclave noire affranchie, Cristina Serra. De cette union naîtront 4 enfants, Juan Francisco, Fermin, Vicenta et Caridad. Le grand-père, non seulement brave les interdits de l'époque en fondant une famille avec une femme noire, mais il donne aussi son nom à sa progéniture. Il ne reviendra jamais en Espagne, et meurt d'anémie pernicieuse en 1888.
Les enfants du papy aventurier eurent des enfants à leur tour, Juan Francisco, l'aîné en aura 9, et notre Picasso cubain est l'un d'entre-eux. Sur 41 descendants du grand-père aventurier, tous issus de l'union de Juan Antonio avec son épouse, une trentaine sont vivants aujourd'hui et pourraient donc revendiquer un lien direct avec Pablo. Est-ce pour cette raison que cette lignée métissée a été longtemps tenue secrète et que les héritiers de la branche abandonnée en Espagne ne souhaitent pas donner suite aux sollicitations des historiens et des journalistes ? Peut-être. Il semblerait que Pablo n'ignorait rien de cette histoire, selon le témoignage de son ami peintre Wilfredo Lam, cubain d'origine, et lui aurait même demandé de garder le silence sur cet épisode de l'épopée familiale.
Mais les secrets finissent souvent par être révélés au grand jour et lancés à la face du monde. En 1998, une photographe et historienne cubaine, Barbara Meijides, enquête sur la famille Picasso de La Havane. Elle informe de ses découvertes le ministère de la culture espagnole et la Fondation Picasso à Malaga. Ses révélations sont suffisamment plausibles pour être rendues publiques, et la réalisatrice cubaine Julia Mirabal signe un documentaire sur les cousins de La Havane, Los Negros Picasso, présenté en 2000 au festival de Malaga, en présence de certains membres de la famille cubaine, qui accrédite encore la thèse de la descendance ignorée du grand-père.
La plupart des Picasso de Cuba ne savaient rien de leur parenté avec le peintre le plus célèbre du monde, ou n'y accordaient pas d'intérêt particulier. Il paraîtrait que l'attention dont ils sont l'objet depuis quelques années ne suscite rien d'autre, pour la majeure partie d'entre eux, qu'une désinvolture amusée.
Des journalistes et des historiens continuent de mener l'enquête (la fondation Chano Pozo, à New-York, aurait révélé que le célèbre percussionniste cubain, né en 1915, émigré et décédé aux Etats-Unis en 1948, membre de l'orchestre de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker, aurait connu Fermin et Caridad, deux des enfants du grand-père de Pablo Picasso et de Cristina Serra) et de nouvelles révélations confirmeront ou infirmeront peut-être la saga cubaine romanesque de la famille Picasso, baignée d'ombre et de mystère. D'autres faits, de nouveaux descendants encore inconnus seront peut-être découverts dans l'avenir.
Certains des arrière petits-enfants du grand-père Francisco poursuivraient une carrière artistique,  comme Juan Antonio, peintre, Gloria Molina, graphiste et Joan.

Les portraits de Juan Antonio sont l'œuvre du photographe marseillais Vincent Lucas, fondateur du village Facteurs d'images, parti à la rencontre des cousins Picasso à la mode de Cuba, en compagnie du journaliste François Missen. 
Les images et l'histoire rapportées de ce voyage ont fait l'objet d'une exposition en 2012 à la galerie LAME à Marseille. Le parti-pris de l'exposition, l'effet miroir, les portraits de Pablo Picasso et ceux de Juan Antonio adoptant les mêmes poses, souligne la ressemblance étonnante entre les deux.